FAHRENHEIT 451 | Ray BRADBURY

2/5

Grand classique de la Dystopie, l’œuvre de Ray BRADBURY est citée dans toutes les analyses des sous-genres littéraires proches de l’Anticipation et de la Science-Fiction. Elle a pourtant aussi sa place dans la littérature générale américaine. On le constate encore mieux depuis la traduction française de Jacques CHAMBON, plus récente, qui restitue au texte tout son lyrisme, voire sa poésie.

Dans une préface éclairante, J. Chambon rappelle combien le roman de R. BRADBURY est marqué par sa période de rédaction (fin des années 40) qui annonce le « Maccarthysme » et sa « chasse aux sorcières », c’est-à-dire aux communistes ou supposés tels, aux intellectuels, aux artistes.
Ce refus de la culture, et symboliquement de « l’écrit », donc des livres, prend la forme métaphorique de l’autodafé généralisé chez l’auteur qui crée ainsi la figure si remarquée du pompier pyromane.

« C’est vrai qu’autrefois les pompiers éteignaient le feu au lieu de l’allumer ? » (p 30)

Le roman est certes inscrit historiquement mais son thème garde une grande modernité, surtout aujourd’hui que l’offre politique niant toute ouverture culturelle et proposant la réduction de l’exercice de la pensée se développe sur tous les continents.

« FAHRENHEIT 451 », température à laquelle le papier s’enflamme et se consume, n’a jamais autant mérité son statut d’œuvre intemporelle.

L'édition de référence utilisée est celle du Folio SF n° 3 (dépôt légal 2000).

LE CONTEXTE

Le roman s’inscrit dans la société américaine de consommation.
La vie, souvent en couple, se passe dans des maisons et villas de banlieue, avec de nombreuses aides technologiques, une présence télévisuelle constante (proposée sur des murs-écrans et capable d’inscrire chaque membre de la population dans une pseudo famille virtuelle), l’abandon de toute pensée réflexive et de tout intérêt pour les autres et pour la nature. Robotisée, formatée, l’existence de ces américains n’est toutefois pas toujours facile. Pour éviter le suicide, il faut souvent avoir recours aux tranquilisants…
« S’oublier » semble être le maître mot de cette civilisation, tous les moyens sont bons, comme la vitesse sur les autoroutes, la musique tonitruante, les couleurs vives, le rire et la futilité.

« L’homme du XIXème siècle avec ses chevaux, ses chiens, ses charettes : un film au ralenti. Puis au XXème siècle, on passe en accéléré. Livres raccourcis. Condensés, digests. Abrégés. Tout est réduit au gag, à la chute. » (p 91)

« De la maternelle à l’Université et retour à la maternelle. Vous avez le parcours intellectuel des cinq derniers siècles ou à peu près. » (p 92)

Dans cette évolution, le livre fait figure de symbole. Il doit disparaître car il introduit de la différence, de la comparaison, de l’intimidation.

« Chaque homme doit être l’image de l’autre, comme ça tout le monde est content ; plus de montagnes pour les intimider, leur donner un point de comparaison. Conclusion ! Un livre est un fusil chargé dans la maison d’à côté. Brûlons-le. Déchargeons l’arme. Battons en brèche l’esprit humain. Qui sait qui pourrait être la cible de l’homme cultivé ? » (p 97)

Et puisque toutes les maisons sont ignifugées, et que les pompiers sont disponibles, on les chargera de rechercher les derniers livres cachés et de les brûler.
A la fois société du spectacle et de l’abrutissement, « l’american way of life » de R. BRADBURY renvoie à A. HUXLEY et à son « Meilleur des Mondes », comme il annonce le « Bonheur insoutenable » d’Ira LEVIN. Il évoque aussi des périodes sombres de l’histoire, celle des autodafés nazis sans pouvoir empêcher les « révolutions culturelles » qui ont suivi.

L’INTRIGUE

De façon originale, l’auteur choisit comme héros, non pas une des victimes mais un des bourreaux, non pas un intellectuel dont on brûle les œuvres mais un pompier chargé de les détruire.
Guy Montag est en effet un pompier, heureux de l’être, comme le proclame l’incipit :

« Le plaisir d’incendier ! Quel plaisir extraordinaire c’était de voir les choses se faire dévorer, de les voir noircir et se transformer. » (p 23)

Mais sous la flamme, des cendres chaudes demeurent parfois et les regrets aussi.
Montag cache chez lui des livres et lorsqu’il rencontre une jeune fille rebelle de 17 ans, Clarisse, qui lui demande s’il est heureux, le doute s’installe et tous bascule. Sa femme, sous somnifère, échappe de peu à la mort et le monde qui l’entoure l’insupporte de plus en plus.
Lorsque Clarisse et la liberté qu’elle représente disparaît, lorsqu’il doit incendier une maison avec les livres qu’elle dissimule et que la propriétaire préfère s’immoler que survivre, Montag refuse de poursuivre sa mission.

Il retrouve une vieille connaissance, Faber, qui l’aide à comprendre le contenu des ouvrages et qui lui susurre, à l’aide d’une oreillette, les grands textes disparus dont « Le livre de Job » et « L’Ecclésiaste ». Il renonce à son ancienne vie, révèle son goût pour la lecture à sa femme qui, bien sûr, le dénonce à son capitaine. Confronté à ce dernier et à l’obligation de détruire son propre logement, Montag retourne son lance- flammes contre son chef, assomme ses collègues et incendie le robot chargé de le poursuivre.
Fugitif, il suit les rails abandonnés du chemin de fer, il plonge dans le fleuve et s’éloigne de la ville tandis que toutes les forces de police le traquent en même temps que les recherches sont retransmises en direct sur les chaînes de télévision.
Pendant ce temps, sans que l’on sache pourquoi, la guerre est déclarée et les premiers combats se préparent.

Montag découvre, hors de la cité, « des vagabonds diplômés » qui n’ont pas renoncé à la culture. Ceux-ci ont chacun appris l’une des grandes œuvres de la littérature et préservent ainsi le savoir de l’humanité :

« Je tiens à vous présenter Jonathan Swift, l’auteur de cet ouvrage politique si néfaste, Les voyages de Gulliver ! Et cet autre est Charles Darwin, et celui-ci Schopenhauer (…) (p 218)

Montag lui-même se rappelle qu’il peut aussi devenir un « homme-livre » puisqu’il possède dans sa mémoire « l’Ecclésiaste », ce texte avec sa célèbre maxime « Vanité des vanités, tout est vanité » qui lui va si bien.
Et puis les bombes tombent sur la ville…

Le groupe retourne sur ses pas pour aider les survivants, avant de repartir vers d’autres horizons afin de bâtir un jour un nouvel avenir, avec une arme « se souvenir » et un projet « enterrer la guerre ».
Car l’homme, tel le phénix, peut renaître à la vie et peut-être cesser de se détruire.

« Conscience de toutes les bêtises que nous avons faites durant un millier d’années, et autant que nous en aurons conscience et qu’il y aura autour de nous de quoi nous les rappeler, nous cesserons un jour de dresser ces maudits bûchers funéraires pour nous jeter dedans. A chaque génération, nous trouvons un peu plus de monde qui se souvient. » (p 234)

CONCLUSION

La vision désespérée de Ray BRADBURY, ce constat d’une civilisation sans mémoire, sans passé, sans culture, se clôt donc sur un message d’espérance. Si quelques hommes préservent le savoir, un nouvel essor est toujours possible.
Cet optimisme, encore réel dans les années 50, puisqu’après tout Joseph McCarthy sera désavoué par le Sénat en 1954, semble avoir plus de mal à s’exprimer dans les productions plus récentes de la Dystopie.

On n’espère plus guère y reconstruire une société humaniste et cultivée, on attend plutôt l’Apocalypse.


ADAPTATIONS

Film

Adaption au cinéma en 1966 par François Truffaut sous le titre « Fahrenheit 451 ».

Scénario de Francois Truffaut et Jean-Louis Richard.

Série

Adaptation par la chaîne de télévision américaine HBO sous forme d’un téléfilm en 2018. 

BD

Adaptation en bande-dessinée par Tim Hamilton, publiée en 2010 chez Casterman.

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