LE ONZIEME COMMANDEMENT | Lester DEL REY

L'édition de référence est celle du Livre de Poche (n° 7010), publiée en 1977.

Lester DEL REY, auteur américain né en 1915, publie en 1970, ce roman consacré au pouvoir religieux et à l’obsession nataliste.

Classé comme écrivain iconoclaste et anticlérical, il propose un récit de science-fiction, certes mineur, mais très inscrit dans son époque. Sa critique du clergé est efficace, même si le dénouement final rappelle que l’on se situe bien dans les Etats-Unis des années 70.

LE CONTEXTE

Après l’apocalypse nucléaire qui a ravagé la terre, les élites savantes et éclairées se sont réfugiées sur Mars où elles développent une société maîtrisée et réservée aux seuls survivants non touchés par les retombées atomiques et ne présentant donc aucunes séquelles génétiques.

Mars entretient peu de relations avec la Terre où règnent la surpopulation, la pauvreté, la violence et bien sûr les mutations et autres monstruosités, conséquences des radiations subies depuis deux cents ans par les populations et leurs descendances.

Le pouvoir est détenu, en Amérique, de façon absolue et totalitaire, par les prêtres de « l’église éclectique catholique américaine ». Le clergé contrôle les missions de police et de surveillance, les fonctions politiques et se réserve l’exercice de la médecine et de la recherche scientifique.

Il administre cinq milliards d’américains à partir de la cathédrale de New City, au milieu des ruines de ce que fût autrefois New York. Par ailleurs, l’Australie est ravagée par la peste et largement dépeuplée, les pays d’Europe sont en guerre et vivent à l’heure de ce qu’il reste de l’église catholique romaine. Quant à l’Asie, on ne sait rien de ce continent sauf qu’il refuse toute foi religieuse.

L’obsession de l’église américaine demeure la natalité, ce que dicte un nouveau commandement, le onzième,

« Mais ce que nous appelons le Onzième, et qui mériterait en fait le nom de Commandement Original, c’est Dieu le Père lui-même qui l’a donné à l’humanité toute entière en la personne d’Adam quand il lui a dit : « Fructifiez et multipliez, et remplissez la Terre », fixant par là le principe directeur de toutes nos actions. » (p 30)

En conséquence, il va de soi que toute forme de contraception est bannie.

Population grouillante, souvent contrefaite, les terriens se tassent dans des taudis et leurs enfants, affamés, chassent les rats pour se nourrir.

L’INTRIGUE

Le héros, Boyd Jensen, expulsé de Mars car génétiquement impur, arrive sur Terre et découvre une réalité humaine archaïque avec des immeubles en ruine, des tricycles, des charrettes à bras, des pendus aux lampadaires, le tout dans une saleté repoussante.

Le Martien, scientifique cultivé, est confronté au monde du Onzième Commandement et de son église éclectique. Il regrette la société de Mars, progressiste et athée, tellement éloignée de la société terrienne superstitieuse et obscurantiste.

Boyd apprend peu à peu à survivre à New City, les prêtres lui confient même un travail de laboratoire où il excelle, ce qui permet à l’auteur de s’étendre longuement sur de nombreuses considérations techniques.

Le lecteur n’ignore plus rien des cultures de levure et des protocoles de recherche correspondants, même si cela nuit gravement au rythme de la narration et à son intérêt romanesque…

Quoi qu’il en soit, Boyd fait des merveilles dans son nouveau métier, rencontre une jeune femme, Hélène, qu’il veut conquérir, se confronte à toutes les croyances même à la sorcellerie. Mais, enfreignant les codes de cette civilisation qu’il ne maîtrise pas, il fait plusieurs passages en prison dont il ressort toujours avec l’aide du clergé, et même du pape qui tente de le convaincre du bien-fondé de ses choix et qui ne désespère pas de le convertir à la vraie foi.

De péripéties en péripéties, plus ou moins confuses, on comprend que le jeune martien doit jouer un rôle dans le sauvetage de l’humanité.

Il rencontre un prédicateur, Stephen L’Aveugle, qui harangue la foule et lance une croisade dans le but de conquérir l’Australie et de dominer l’Asie.

Enfin, à l’issue de son ultime incarcération, le pape révèle à Boyd la vérité sur l’état réel du monde. Les membres du clergé, sélectionnés parce que stériles, comme la population restée féconde, présentent de graves malformations génétiques. Les survivants à l’apocalypse nucléaire développent en effet de nombreuses mutations récessives :

        « Dans un monde où tout individu était porteur d’un certain nombre de mutations, chaque enfant en avait plus que chacun de ses deux parents, même sans tenir compte de celles que pouvait encore provoquer la radio-activité résiduelle. Le mal se répandrait et empirerait jusqu’à ce que toutes les combinaisons eussent été essayées et qu’un nouvel équilibre fût atteint. » (p 301)

Le culte de la reproduction vise donc à multiplier les possibles et les chances de survie de l’humanité.

        « Seule une population maximale, comprenant la plus grande variété de types possible, peut nous garantir suffisamment de sujets viables pour perpétuer la race. L’homme doit croître et se multiplier, s’il veut remplir la Terre sous une forme capable de survivre. » (p 305)

En un retournement étonnant et peu scientifique, le Onzième Commandement se justifie donc et ne relève pas de la superstition. L’Eglise a raison et Boyd Jensen la rejoint.

Et plus encore, il se marie avec Hélène, prend part à la Croisade, renie Mars, condamné à la stagnation dans « sa pureté de serre » et choisit la Terre avec sa nouvelle race d’hommes à venir.

        « Harcelé sans cesse par le Onzième Commandement l’homme sortirait de sa jungle terrestre pour trouver sa propre voie, et atteindre les étoiles sans passer par Mars. » (p 315)

CONCLUSION

Ce roman laisse perplexe. Violent plaidoyer contre la surnatalité et les ravages de la surpopulation, contre le pouvoir absolu du clergé, il en arrive à faire l’apologie de la sélection naturelle, les « bons » mutants éliminant les « monstres ».

Cet appel au darwinisme et aux théories de l’évolution surprend, d’autant plus que cela ne rentre pas habituellement dans les conceptions de la religion catholique ni des autres croyances issues du Livre.

La période d’écriture de ce récit explique peut-être cette position idéologique, aujourd’hui difficile à comprendre même si les Eglises évangélistes ne sont pas très éloignées du onzième commandement et d’une passion toujours présente pour la Croisade.

Roman mineur donc, mais intéressant sur le plan historique.

Autres livres chroniqués dans la même rubrique thématique

L’ENFANT DE LA PROCHAINE AURORE | Louise ERDRICH

Roman de la filiation, de la procréation, de la dénonciation politique, historique, religieuse, l’œuvre de L. ERDRICH, publiée en 2017, est surtout multiple et complexe. Long monologue, écrit à l'intention...

Lire

LE 33e MARIAGE DE DONIA NOUR | Hazem ILMI

Roman de la critique des religions en général et de l'islam en particulier, l’œuvre de Hazem ILMI est un curieux objet littéraire. Emprunt d'humour et de dérision, il mêle philosophie,...

Lire

ALBATROYS | Jean-Marc LIGNY

La Terre, déclarée planète interdite après sa contamination, a été abandonnée par ses habitants en 2133. Ceux-ci se sont disséminés dans la galaxie où ils ont recréé une civilisation dominée...

Lire

SOUMISSION | Michel HOUELLEBECQ

Ce roman qui fit grand bruit à sa parution, procède plus de la politique-fiction que de la dystopie, même si par son aspect quelque peu visionnaire et les peurs contemporaines...

Lire