LES FILS DE L'HOMME | P.D. JAMES

Seule œuvre de science-fiction de la reine de la littérature policière, le roman de Phyllis Dorothy JAMES aborde un des thèmes de prédilection de la dystopie, la disparition de l’humanité.

Ici, ce n’est pas à la suite d’une catastrophe naturelle, d’un conflit nucléaire, d’une invasion extra-terrestre que l’homme est menacé, c’est plus radicalement parce qu’il est incapable de se reproduire…
L’extinction de l’espèce par stérilité généralisée, voilà le ressort romanesque sur lequel s’appuie l’autrice. Bien sûr, elle insère cet argument dans une intrigue proche des récits dont elle a le secret. Le roman devient alors un objet hybride mêlant le roman noir et la littérature d’anticipation.

LE CONTEXTE : une société à l’agonie

Le récit, écrit au début des années 90, est situé 30 ans plus tard dans l’Angleterre de 2021.
La stérilité est mondiale, aucune naissance n’a été constatée depuis 25 ans

« Mais le monde ne perdit espoir que lorsque la génération née en 1995 atteignit la maturité sexuelle. Quand, les tests achevés, il s’avéra qu’aucun de ses représentants ne produisait un sperme fécond, nous sûmes qu’il s’agissait en fait de la fin de l’homo sapiens » (p 20)

Les derniers nés, dénommés les « omégas », ont tous les droits et en abusent. Ils vivent entre eux et s’adonnent à des pratiques violentes radicales. Les plus âgés attendent la mort et dans leur désespoir ont confié leur sort à un dictateur, Xan Lyppiatt.
L’ambiance est crépusculaire, les vieillards meurent ou se suicident, les maisons sont abandonnées, tout ce qui rappelle la jeunesse est détruit.
Les femmes en mal d’enfants adoptent des poupées ou des animaux de compagnie qu’elles font baptiser. Jusqu’à 45 ans, tous les individus ne souffrant d’aucun handicap physique ou psychologique, sont soumis à des tests de fertilité. Sans succès.
Les anglais ont fui les villes pour se réfugier à la campagne mais devant les pénuries grandissantes, l’accès à l’énergie et aux derniers services publics les contraint à revenir vers les cités.

Le livre de poche de 1995 (n° 13831) sert ici de référence dans son édition du 14 avril 2019.

En romancière expérimentée, P.D. JAMES donne chair et consistance à cette société anglaise agonisante. Elle détaille les décors, fouille les personnages principaux, ce qui n’est pas si fréquent dans de nombreux récits dystopiques contemporains, trop souvent marqués par l’importance du message à transmettre et l’aspect très « cérébral » des contenus.

L’INTRIGUE : une prise de conscience et une fuite éperdue

Le récit se découpe en deux livres distincts.
Le premier est constitué par le journal de Théo Faron, philosophe et historien, âgé de 50 ans,, qui enseigne à Oxford auprès d’adultes et d’érudits. Il est le cousin de Xan, le gouverneur autocrate du pays.
Très liés lors de l’enfance, les deux cousins ont suivi des chemins opposés, l’un a conquis le Pouvoir et détient l’intégralité de la puissance politique, administrative, policière, l’autre a choisi l’étude et le passé. Théo a toutefois, dans un premier temps, participé en tant que conseiller spécial du président, à l’instance suprême qui prend toutes les décisions. Même s’il a abandonné ses fonctions, la population connaît ses liens de proximité avec Xan.
C’est à ce titre qu’il est approché par un groupe de dissidents (les « poissons ») au nombre de cinq : Julian et son mari, Luke, curé anglican, Miriam, sage-femme et Gascoigne, chauffeur.
Julian, la jeune femme qui a été chargée de contacter Théo est une ancienne élève du professeur.
Les revendications politiques que le groupe souhaite que Théo expose à son cousin recouvrent les différents aspects de l’Angleterre « infertile » et condamnée. Il dénonce le statut dictatorial de Xan, l’inhumanité de son pouvoir et de sa police, en particulier en ce qui concerne l’île pénitentiaire de Man où règnent mort et barbarie, mais aussi en matière de gestion esclavagiste des émigrés (les « séjourneurs »), chargés des métiers dégradants.
Mais la dénonciation se fait encore plus forte lorsqu’il s’agit d’aborder le suicide organisé et collectif des personnes les plus âgées. Cela a pris la forme de « Quietus », cérémonies religieuses lors desquelles on déguise les vieillards en mariés, on les attache à d’anciennes barges – alors qu’ils sont censés être volontaires – et on les noie dans la mer au son d’une musique pleine d’entrain. P.D. James offre là des scènes inoubliables.

« Une fois prêtes, les vieilles quittaient les chalets pour se ranger en file. Elles portaient toutes de longues robes blanches (…). Chaque femme tenait un petit bouquet, et leur cortège semblait une caricature de cortège nuptial. (…) La fanfare se mit à jouer, et la procession s’ébranla lentement en direction de la jetée. (p 115)

Théo est finalement reçu par le gouverneur et les quatre membres du conseil. Mais ses arguments pèsent peu. Le pouvoir ne cédera pas, Xan veut préserver « l’ordre, l’assurance que la race s’éteindra dans la dignité ».
Théo abandonne la lutte, quitte le pays, ce qui clôt le livre premier.

Le livre II est très différent.
Il s’inscrit dans le mouvement et l’action. L’autrice retrouve le ton, le rythme, la structure narrative du thriller.
Après six mois de voyage en Europe, Théo revient à Oxford. Il est immédiatement contacté par Julian qui lui annonce que « les poissons » sont pourchassés et que l’un d’eux a même été appréhendé. Et surtout, Julian fait la révélation suprême, inouïe, elle est enceinte. Une première depuis 25 ans.
Les quatre rescapés du groupe et Théo prennent alors la fuite dans un road-movie haletant. De maisons cambriolées en voitures volées, d’attaque subie de la part des Omégas qui mettent Luke à mort, de révélations sur la paternité de ce dernier avec trahison du mari de Julian, les péripéties s’enchaînent. A la fin, il ne reste plus que Miriam, la sage-femme, Julian et Théo.
Alors qu’il est recherché par Xan lui-même, le trio se réfugie dans un ancien hangar où l’enfant parvient à naître.
Le dénouement est particulièrement expéditif mais la crédibilité n’est pas essentielle en la matière.
Théo et Julian, seuls survivants, sont capturés par Xan et le conseil. Le bébé mâle est exposé et devient le centre de tractations sordides. En un ultime affrontement, Xan ne parvient pas à atteindre son cousin qui l’abat avec la dernière balle restante dans son arme.
Protecteur du premier bébé du renouveau, Théo reprend les attributs du pouvoir. Il succédera au tyran pour construire une nouvelle société.

CONCLUSION

Le roman de P.D. JAMES s’articule en deux mouvements.
Le premier trace les contours d’une société humaine condamnée à terme à disparaître pour cause de stérilité généralisée. L’autrice tire toutes les conséquences issues d’un tel cataclysme, à la fois sur les derniers nés sans perspectives et sur les plus âgés sans descendance. Elle présente avec sagacité les formes de pouvoirs envisageables pour conduire la civilisation vers une mort digne quand tout avenir est définitivement aboli. Ce livre premier est fort et ne s’oublie pas aisément.
En revanche le second, dès qu’un possible émerge, retrouve les codes du récit d’action, avec ses plaisirs mais aussi ses facilités.
P.D. JAMES adapte son art littéraire au thème dystopique avec brio mais retrouve assez vite son écriture propre.
Ce décalage, sensible à la lecture, explique peut-être pourquoi elle n’a pas renouvelé l’expérience.

ADAPTATIONS

Film

Le roman a été adapté en 2006 sous le titre de Les Fils de l’homme (titre original : Children of Men).

Écrit et réalisé par Alfonso Cuarón

La distribution est prestigieuse : Clive Owen, Julianne Moore, Michael Caine

Même si très fidèle sur le fond, le film est une libre adaptation dont il faut noté l’extrême violence et la modernité. Sans compter une fin qui surprendra les lecteurs de l’œuvre originale.

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