LES MÉTÈQUES | Denis LACHAUD

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Dans cette dystopie politique d’un avenir proche, la région Provence est dominée par des forces réactionnaires qui appliquent le principe de la priorité nationale.

Gare à ceux qui ne peuvent prouver la « pureté » de leurs origines, malheur à ceux qui ne descendent pas de la bonne « souche ».

Le roman de Denis LACHAUD réunit toutes les peurs passées et présentes : 

    • celle de la « chasse aux juifs » pendant la seconde guerre mondiale,
    • celle de la vie cachée au fond des caves et des forêts lors de l’occupation allemande,
    • celle de la fuite des migrants sur des bateaux de fortune, 
    • celle de l’exclusion de tout ce qui n’est pas conforme à une identité française fantasmée.

L’auteur propose donc une synthèse de toutes les terreurs et la rend actuelle dans un futur vraisemblable où la chasse aux « métèques » sera ouverte.

Cette dystopie minimaliste est écrite à « hauteur d’homme ». Le récit est incarné par un jeune narrateur qui subit la situation sans réellement la comprendre. Il n’y a ici aucune généralisation, aucune analyse en surplomb, juste l’existence vécue par des « étrangers » ou jugés tels, exclus de la vie ordinaire des « français de souche », ces « blancs » qui ne supportent pas les individus plus « colorés » qu’eux.

LE CONTEXTE 

La préfecture de PACA convoque les habitants naturalisés, ceux qui ont francisé leur nom, ceux qui sont sur le territoire depuis la guerre, donc les juifs fuyant le nazisme, ceux qui ont subi la colonisation et sont venus travailler en métropole, les maghrébins surtout donc, mais aussi les autres sources d’immigration qu’il s’agisse de l’Arménie, de l’Italie du Sud, de l’Afrique subsaharienne, des Antilles, etc.

L'édition de référence est celle de la publication originale, en 2019, chez Actes Sud.

La famille évoquée dans le roman cumule les handicaps si l’on se réfère aux nouveaux critères : le père est né de parents juifs polonais, la mère est oranaise. La dernière génération découvre ses origines du côté maternel et subit la ségrégation mise en place.

Le fils aîné, Célestin, conte dans une langue belle et pure (signe de son identité française s’il en est) le parcours de ses grands-parents, de ses parents, le bonheur vécu lors de son enfance.

Le récit se dédouble, les chapitres intercalent la survie des aïeux lorsqu’ils étaient enfants, au sein des forêts profondes, et la fuite de Célestin, seul survivant d’un massacre. 

La route du jeune homme nous conduira de Marseille à Sète et nous laissera, désemparés et horrifiés, dans les eaux de la Méditerranée face à l’Espagne.

L’INTRIGUE

Tout commence dans une famille marseillaise, archétype de la petite bourgeoisie française. Les Herbet vivent dans une maison avec jardin, dans un quartier calme. Les trois enfants, deux garçons et une fille, tiennent leurs rôles, ceux de jeunes sans histoires, sinon celles de leurs âges.

Cette sérénité apparente est balayée par une première convocation à la Préfecture, là où il est dit que Herbet est le nom francisé de Herzberg et surtout que Cadiou, patronyme de la mère, vient de Kadir. 

Les enfants découvrent qu’ils sont 

« A cinquante pour cent rebeu, merci maman. » (p 36)

comme l’énonce Yseult, la fille de 15 ans.

Lors d’une deuxième convocation, la nouvelle règle est infligée au Herbet, dorénavant les pièces d’identité devront comporter le terme « anciennement » suivi du nom d’origine.

« Ou nous choisissons de recouvrer notre identité d’origine et nos papiers officiels seront modifiés en conséquence, ou bien nous décidons de garder le patronyme de remplacement, le nom à consonance dite française, et une nouvelle rubrique sera ajoutée à notre carte d’identité, à notre passeport : la rubrique anciennement. » (p 43)

La famille refuse, les menaces se précisent et le massacre survient. Un commando fasciste tue les Herbet, sauf le fils qui se cache sur le toit. Le roman bascule alors dans l’horreur.

Célestin fuit vers Arles, puis Lunel. Il revit sans cesse la tuerie et sait bien qu’on lui attribuera les meurtres.

Traqué, il trouve son salut à Sète, où à la suite d’une petite annonce publiée dans le journal local, il accepte un emploi à domicile. Dorénavant, il aide Olivier Loeb dans tous les actes de la vie courante, car celui-ci est peu mobile suite à un accident de voiture. Logé et nourri, le jeune homme peut se cacher. Peu à peu, il prend son travail à cœur, il gagne la confiance de son employeur, même si ce dernier est particulièrement irascible. 

Il découvre aussi que Oliver cache des voisins, un couple homosexuel dont l’un des membres est maghrébin. Célestin ravitaille les fugitifs.

Il constate que l’épuration s’est faite dans la discrétion.

« On comptait de moins en moins de Noirs et d’Arabes dans la rue. Ils partent ou ils se cachent. (…) Si on n’est pas au courant de ce qui se passe, on ne voit rien. Mais les Noirs et les Arabes savent. Ils ont peur. Seuls les plus courageux s’obstinent à ne rien changer à leur quotidien. Les plus courageux ou les plus inconscients. » (p 145)

La Police nationale semble agir comme « rabatteur » sous les ordres des Préfectures alors qu’une Milice occulte se charge des basses œuvres et des assassinats. 

Célestin décide, au bout de plusieurs mois, de prendre la route vers l’Espagne. Avec le salaire arraché à Olivier, il peut espérer survivre. Sur son chemin, il rencontre Juliette Rossignol, fugitive dont les parents d’origine arménienne ont, eux aussi, été assassinés. Ils prennent un car, sont arrêtés lors d’un contrôle. Juliette est violée par l’un des policiers. Ce n’est jamais que la troisième fois, dit-elle, puisque c’est le prix à payer.

Sur la route de l’exil, les deux jeunes gens trouvent des passeurs qui, contre rémunération, les entassent avec d’autres fuyards sur un bateau trop petit.

Celui-ci se renverse face aux côtes catalanes espagnoles. Célestin semble se noyer. Juliette parvient jusqu’à la plage. Elle espère toujours et veut vivre.

Elle déclare dans une phrase finale :

« Mes pieds se posent sur le fond, la plage. Où es-tu Célestin ? Je ne te vois pas encore. Je vais me reposer. Tu auras le temps de me rejoindre. Nous vivrons. C’est maintenant. » (p 221)

CONCLUSION

Peut-on dire qu’il s’agit d’une dystopie alors que les risques d’une réaction politique extrême sont bien réels ?

Denis LACHAUD n’évite aucune peur et les rassemble toutes dans ce que la Critique a défini comme une « fable glaçante », tellement réaliste que le lecteur reste incrédule.

Non, cela ne peut survenir dans un pays démocratique salué pour son esprit républicain, disons-nous, mais l’auteur précise : si nul ne veille, pourquoi pas ?

L’alerte magistrale lancée par Denis LACHAUD possède un grand mérite, celui d’encourager la vigilance contre le retour des jours les plus sombres de notre histoire.

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