NOTRE ILE SOMBRE | Christopher PRIEST

Reprise de la traduction française publiée par les Editions Denoël en 2014, la présente édition de référence est celle du Folio SF n° 540 (2016).

Roman sur l’invasion de la vieille Europe par les hordes migratoires venues d’Afrique, la dystopie de l’anglais Christopher PRIEST rejoue la chute de l’empire romain envahi par les Barbares en mettant en scène l’effondrement du Royaume britannique vaincu par ses anciennes colonies.

On discerne dans ce récit beaucoup de mauvaise conscience post-coloniale mais aussi une petite musique lancinante plus réactionnaire dépeignant les migrants comme étant violents, voleurs et, bien sûr, violeurs.

On se croirait parfois, mais l’auteur n’en a peut-être pas conscience, chez Jean RASPAIL et son sulfureux « camp des saints ».

NOTRE ILE SOMBRE n’est d’ailleurs que la version revisitée du « Rat blanc » parue pour la première fois en 1972, soit à la même époque que le brûlot de l’auteur français. La même crainte, voire haine des étrangers se diffuse dans les deux textes même si C. PRIEST s’en défend quand J. RASPAIL s’en réclame. En fait la version réactualisée ne peut cacher ses origines plus anciennes, le contexte reste indubitablement celui des années 70.


LE CONTEXTE : l’Angleterre colonisée

Le thème est audacieux, l’Angleterre est envahie par des migrants africains, les « Afrims », qui fuient leur continent devenu inhabitable.

Les premiers bateaux arrivent par la Tamise et débarquent, en plein Londres, des dizaines de milliers de réfugiés. Le flux ininterrompu de migrants déstabilise la vieille démocratie anglaise.

D’abord tolérante, la société britannique porte au pouvoir, devant la situation qui s’aggrave, un parti raciste et réactionnaire. Ces « nationalistes » prennent les armes contre les milices créées par les Afrims. Ces derniers revendiquent le contrôle de quartiers entiers après en avoir chassé leurs habitants. L’Armée et la Police se divisent entre les deux camps. L’ONU, en troisième force d’intervention, tente vainement de s’interposer pour éviter la guerre civile.
A l’image des conflits qui ravagent les pays africains, l’Angleterre devient un espace d’affrontement. Les différentes factions s’opposent, les rues des villes et les villages se barricadent et s’arment.

« Dix-sept à vingt millions de gens quittèrent l’Afrique pendant cette évacuation de masse, à la recherche d’un lieu sûr. En un an, plus de deux millions d’entre eux trouvèrent le chemin de la Grande-Bretagne. Les Africains, les Afrims, n’étaient les bienvenus nulle part, mais où ils touchaient terre, ils s’installaient. » (p 146)

Conséquence de l’invasion et des affrontements qu’elle provoque, des centaine de milliers de personnes chassées de chez elles par les Afrims errent dans la campagne et tentent de survivre, souvent en groupes, au milieu des combats. De plus, les femmes de ces « groupes d’errants » sont fréquemment kidnappées par les troupes Afrims et envoyées dans leurs bordels.

« La petite île britannique (…) avait résisté des siècles durant aux invasions (…) Les Britanniques (…) avaient permis presque par défaut une incursion de réfugiés aux conséquences massivement perturbatrices. » (p 263)

Emblématique des fantasmes récurrents des populations occidentales, la tonalité du roman est donc très nettement anti-immigration, bien que l’auteur s’en défende. On pourrait rapprocher le message émis des thèses contemporaines du « Grand Remplacement » défendues par les penseurs de la droite identitaire.

Enfin, il faut noter que la structure narrative très éclatée, adoptée par l’auteur, ne facilite guère la lecture. Les temporalités s’entremêlent et, de flash-back en flash-back, il est difficile de reconstruire une évolution chronologique cohérente.
Christopher PRIEST, auteur renommé de la SF anglaise, ne retrouve pas ici le savoir-faire qu’il avait démontré dans son chef-d’œuvre « Le Monde inverti ».


L’INTRIGUE : un anglais à la dérive

Le narrateur, Alan Whitman, appartient à la classe moyenne. Il est enseignant et vit, dans sa maison de banlieue, avec sa femme Isobel et sa fille Sally.
Il traverse toutes les vicissitudes que rencontrent les civils en temps de guerre.
De retour en arrière en retour en arrière, le lecteur assiste, de l’enfance à l’âge adulte, à l’évolution d’un anglais typique de son époque.
Après avoir, non sans efforts, restauré une chronologie indispensable, on peut résumer ainsi cette histoire de la chute d’un citoyen représentative de l’effondrement d’une société entière.

Alan perd d’abord sa maison familiale réquisitionnée par les migrants africains. Il fuit sur la route, avec femme et enfant, d’abord en voiture puis à pieds. La famille dort sous la tente et parcourt la campagne anglaise à la recherche de nourriture et d’un peu de sécurité. Après de nombreuses péripéties, ils rejoignent un « groupe d’errants » et passent un hiver à l’abri dans une église. Mais la petite troupe, sans armes, est attaquée par les Afrims qui enlèvent les femmes, dont Isobel et Sally.
Dorénavant seul, Alan suit le groupe des sans abris. Les membres se déplacent avec charrettes à bras et vivent de rapines dans les maisons abandonnées. Le héros, toujours en quête de sa femme et de sa fille, décide de partir seul à leur recherche dans le sud du pays, où des rumeurs lui ont signalé la présence d’un bordel africain.
Il finit par retrouver l’hôtel, vidé depuis peu, où ce bordel était installé. Les cadavres des pensionnaires ont été jetés sur la plage. Alan reconnaît les corps d’Isobel et de Sally.

Loin des approches humanitaires qui étaient autrefois les siennes, Alan est dorénavant habité par la haine, face à « l’invasion brutale des réfugiés africains qui (l’)avaient directement privé de tout ce qu’il possédait », jusqu’à détruire sa famille.
Il ne peut que se venger comme le précise la fin du roman :

« Au petit matin, je me rendis en ville, tuai un jeune Africain et lui volai son fusil. Passé midi, j’étais de retour dans la campagne. » (p 269)


CONCLUSION

La synthèse du roman s’exprime en quelques mots,

« Puis le hasard historique avait frappé, les Africains avaient fui leurs pays et s’étaient répandus sur la Terre entière, poussés par le désespoir à chercher refuge n’importe où. Ils avaient débarqué sur tous les rivages, mais sur cette île tranquille aux traditions florissantes que l’histoire n’effrayait pas, ils n’avaient apporté que le chaos. » (p 264)

La fable dystopique délivre un avertissement évident : les migrants n’apporteront que le malheur.
Ainsi ébranlé par le récit, le lecteur ne peut qu’adhérer à la démonstration faite et certainement pas au verdict équilibré et humaniste que prône l’auteur dans son avant-propos.
On perçoit mal aujourd’hui l’ironie et l’aspect progressiste du message revendiqué par C. PRIEST. On ne peut qu’en reconnaître la charge éminemment réactionnaire.

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