LES TESTAMENTS | Margaret ATWOOD

Roman opportuniste pour les uns, récit indispensable pour les autres, « LES TESTAMENTS » constitue la suite d’une œuvre mondialement reconnue « LA SERVANTE ECARLATE ».

Il n’est jamais facile d’écrire une suite, un prolongement à un chef d’œuvre. Margaret ATWOOD n’échappe pas à la difficulté, son roman n’est pas sans intérêt, il est même captivant et remarquablement construit, mais il souffre de la comparaison avec le premier opus.

Le contexte sociétal est le même, l’auteure plonge son lecteur dans les arcanes de « la théocratie puritaine » de Gilead (devenue Galaad dans la traduction du second tome). Elle en décrit la construction, tout au moins en ce qui concerne la sphère des femmes, le fonctionnement, et annonce sa disparition. Le système totalitaire évangéliste mis en place par la Secte des « Fils de Jacob » ne durera pas, en effet, le temps d’une vie humaine.

UNE THEOCRATIE MISOGYNE

Magistralement décrit dans « LA SERVANTE ECARLATE », le monde de Galaad est vu ici au travers de trois protagoniste. Cela permet d’en approfondir l’analyse et d’en détailler les rouages.

Les dirigeants (les Commandants) ont les pleins pouvoirs. Ils sont aidés par une police brutale (les Gardiens), un service de renseignement efficace (L’œil), ils s’appuient sur une classe inférieure chargée de la production économique (les Econo) mais surtout ils dominent l’ensemble des Femmes.
Celles-ci se répartissent entre les Tantes (gardiennes spirituelles qui élèvent les jeunes filles), les Perles (Tantes en formation, missionnaires en terre étrangère), les Epouses (femmes des dignitaires), les Marthas (femmes assurant les services au sein des maisons des élites) et enfin les Servantes (chargées de la procréation auprès des commandants lorsque leurs épouses ne peuvent enfanter).
Les femmes n’ont bien sûr aucun pouvoir, sauf peut-être les Tantes qui fomentent complots et manigances comme le démontre ce second roman..

L'édition française de référence est celle publiée chez Robert LAFFONT (collection « Pavillons ») en 2019.

Galaad a été installé sur plusieurs Etats américains par les membres d’une secte religieuse en réaction à la Catastrophe écologique qui a rendu infertile la majorité de la population. Ce territoire est en opposition avec d’autres Etats des anciens USA (le Missouri, l’Utah, le Texas,…), mais entretient des relations avec le Canada, même si ce pays voisin est le refuge des rares habitants de Galaad qui parviennent à fuir. Des mouvements radicaux opposés au système œuvrent dans ce but comme « Mayday » auquel appartiennent les héros du récit.
La situation de Galaad n’est pas sans évoquer celle que connaissent aujourd’hui certains Etats totalitaires, en particulier au Moyen-Orient en ce qui concerne le statut de la femme, mais aussi celle que promeut une très vivante réaction religieuse aux Etats-Unis. Ce n’est certainement pas un hasard.

LA STRUCTURE DU ROMAN

Formellement ce n’est pas un roman mais la présentation, ordonnée par les historiens, de trois documents : un testament olographe (manuscrit) et les transcriptions des déclarations de deux témoins. L’épilogue, en référence à celui du précédent roman, présente les différents éléments analysés, toujours par les mêmes experts, lors du 13ème colloque des Etudes Galaadéennes en 2197.

Le manuscrit de Tante Lydia (celle du premier roman) offre des informations précises sur l’installation du système théocratique, sur les modalités de recrutement des responsables et sur les aspects les plus brutaux de l’exercice du pouvoir.
On apprend ainsi comment les chefs de la Secte, dont l’ignoble Commandant Judd, ont établi leur domination absolue et comment ils ont convaincu quelques femmes, quatre juges, d’épouser (ou de faire semblant) les nouvelles convictions.
Tante Lydia est la cheffe de file de ces « fondatrices » chargées de l’élaboration de la sphère féminine.

« Semaine après semaine, nous avons inventé : des lois, des uniformes, des slogans, des cantiques, des noms. » (p 235)

A l’exception de Tante Vidala, fanatique de la première heure, les trois autres Tantes fondatrices veulent surtout sauver leur vie :

« Mieux vaut se fondre dans la foule, la foule mielleuse qui prie pieusement et se répand en rumeurs haineuses. Mieux vaut lancer des pierres que les recevoir en pleine figure. Ou disons que, pour rester en vie, c’est mieux. » (p 235)

Cette vision des organes du pouvoir est décrite de l’intérieur de Galaad.

Le premier témoin, Agnès, jeune fille élevée par les Tantes, propose une description minutieuse des modes de reproduction de l’aliénation féminine par l’Education et l’Idéologie religieuse.
Le second témoin, Daisy, complète ces deux premières voix par un éclairage extérieur et critique, dans la mesure où la jeune fille vit au Canada dans un milieu qui combat Galaad et recueille les fugitifs.
Les trois documents éclairent donc le premier roman en apportant les éléments manquants.
Toutefois, l’auteure ne risque-t-elle pas d’affadir son œuvre maîtresse de 1985, de lui ôter son mystère vénéneux, donc beaucoup de sa force et de sa rage ? De nombreux critiques ont été de cet avis.

LE LENT CHEMINEMENT DE LA VENGEANCE

Autant « LA SERVANTE ECARLATE » décrivait le martyr d’une victime (Defred), autant le second tome se situe au sein de la Résistance intérieure et extérieure à la barbarie totalitaire.

Lydia, Tante fondatrice, est le personnage central du roman. Ancienne juge aux affaires familiales, elle est arrêtée lors de la mise en place du nouveau régime et contrainte, par la menace et la violence, d’en accompagner les méfaits. Mais Tante Lydia n’oubliera jamais son désir de vengeance :

« Je vous revaudrai ça. Peu importe le temps que ça prendra ou le nombre de saloperies qu’il me faudra avaler dans l’intervalle, mais je le ferai. » (p 197)

La mise en œuvre de ce programme constitue la trame du roman.
Au cœur des réseaux d’espionnage, maîtresse du double jeu, Lydia ourdit son complot. Dans une atmosphère typique de guerre froide, elle sélectionne des jeunes filles aptes à remplir les missions qu’elle concocte. Elle sort de l’enfer du mariage, Agnès, le premier témoin, et en fait avec son amie Becka, deux Tantes stagiaires capables de lire, d’écrire, donc de se révolter. Après dix ans de formation (la vengeance se distille sur le temps long…), ce sont elles qui sont chargées d’accueillir une jeune transfuge du Canada, âgée de seize ans, formée par les mouvements d’opposition au régime (Mayday). Daisy, devenue Jade, est ainsi infiltrée au sein du pouvoir galaadéen. On apprend aussi qu’elle est en réalité une enfant de Servante enfuie de l’enfer voisin et qu’elle est le « Bébé Nicole », personnage créé pour l’adaptation télévisuelle de « LA SERVANTE ECARLATE ».

M. ATWOOD recycle donc les avatars de son œuvre première et ne renonce à aucuns rebondissements. Nicole est, on pouvait s’en douter, la fille de Defred et Agnès, sa demie-sœur. Ce sont elles, avec un microfilm dissimulé sous la peau et révélant toutes les turpitudes du régime théocratique, qui précipiteront la chute de Galaad. Pour cela, elles fuiront par terre, par mer et risqueront leur vie. Mais, comme dans tout roman d’aventures, elles vaincront et retrouveront leur mère.
Tout se finira en émissions de télévision, en feuilletons, puis en colloques universitaires. Comme il se doit.


CONCLUSION

L’auteure propose un feuilleton romanesque assez réussi mais peu novateur. La forme se veut originale puisqu’elle combine trois points de vue complémentaires, trois paroles écrites devenues documents historiques.

Le résultat est toutefois décevant, celui d’un simple prolongement à la transcription télévisuelle du roman initial.

Le message lui-même, indispensable, ne dépasse pas la critique trop évidente de l’Amérique « trumpienne » et de son idéologie réactionnaire : avortement interdit, divorce décrié, femme réduite à son rôle de séductrice vénale ou de reproductrice soumise,…

Certes, l’avertissement est nécessaire si l’on ne veut pas que l’obscurantisme religieux et politique triomphe, mais fallait-il pour cela un second tome à « LA SERVANTE ECARLATE », chef d’oeuvre indiscutable ?

Le premier roman brillait de toute sa sombre splendeur, le récit « LES TESTAMENTS » affadit la dénonciation du « malheur des femmes »

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