LE RIVAGE DES FEMMES | Pamela SARGENT​

L'édition utilisée est celle du Livre de Poche (n° 7202, série SF).

Ecrivaine américaine classée dans le domaine de la science-fiction, Pamela SARGENT aborde, dans ce long roman, le thème des relations entre les sexes. Elle fait de la critique de la violence masculine, intrinsèque à la nature même de l’homme, le centre de son récit et le ressort de son intrigue.

Publié en 1986, LE RIVAGE DES FEMMES s’insère parfaitement dans la période historique qui a vu se dessiner les principaux arguments d’un féminisme d’opposition et de combat.

UN MONDE BINAIRE

Les hommes, par l’utilisation d’armes destructrices, l’appétit de pouvoir et la sauvagerie, avaient condamné le monde à sa perte :

« Il y avait eu l’explosion, l’incendie, puis l’hiver interminable. Seules quelques petites communautés isolées avaient survécu ici et là, confinées des années durant dans des abris souterrains car la vie à la surface était impossible. » (p 143)

Lorsque la terre redevint fertile et que le moment fut venu de s’aventurer au dehors, les femmes avaient réorganisé la vie dans les Cités, maîtrisé les sciences et les techniques tandis que les hommes vivaient de chasse à l’extérieur.

Elles en tirèrent alors les conséquences et construisirent, loin des régions dévastées, des villes nouvelles d’où elles expulsèrent les hommes.

« Les dix mille ans de domination de l’homme sur la femme, une aberration de l’histoire de l’humanité, appartenaient déjà au passé. » (p 245)

Le monde est donc divisé entre les Enclaves, dotées du confort et protégées par les acquis de la science, où vivent entre elles les femmes, détentrices de tous les pouvoirs et les territoires sauvages où les hommes vivent, au sein de bandes rivales, dans un univers proche de « l’âge du feu » de la préhistoire.

Afin de canaliser la violence et la sexualité des hommes, les femmes ont créé une religion, celle de la Dame, qui conduit les hommes à se rendre dans des Sanctuaires où leur sont octroyées, par des techniques d’hypnose et de télépathie, des relations sexuelles virtuelles. Accessoirement, on en profite pour prélever aux hommes, à leur insu et à cette occasion, leur semence. Celle-ci, après classification, sera utilisée pour l’insémination des femmes qui le souhaitent.

La majorité des habitantes des Cités donnent naissance à des filles, seules « les Mères de la Cité », dirigeantes du système, donnent naissance à quelques garçons qu’elles élèvent jusqu’à l’âge de cinq ans. Ensuite ceux-ci sont confiés, après effacement de leurs souvenirs, aux hommes de l’Extérieur pour qu’ils les éduquent et en fassent des chasseurs.

Cet univers, totalement clivé, perdure depuis des temps immémoriaux et ne va pas sans sclérose. Les Cités ont abandonné tout désir de conquête, territoriale ou spatiale, et se contentent de reproduire les outils techniques et les savoirs scientifiques existants.

Les hommes tentent parfois de fédérer leurs bandes, de s’adonner à l’agriculture, voire de s’organiser en sociétés féodales, mais les femmes détruisent alors ces tentatives, effrayées par tout risque d’émergence d’un contre-pouvoir masculin. Car les hommes

« battaient et massacraient les femmes, s’entre-tuaient, terrorisaient des villes entières » ( p 146)

Comme le dit l’une des dirigeantes :

« Je crois que nous sommes foncièrement différentes, indéniablement. Les hommes détruisent alors que les femmes construisent et entretiennent. C’est parce que nous portons nos enfants en nous, ce que ne connaissent pas les hommes. Même les plus remarquables des hommes devaient probablement combattre sans relâche leurs pulsions. » (p 146)

L’ordre doit régner aussi dans les villes protégées par leurs enceintes et leurs champs de force. Les femmes qui se rebellent et ne respectent pas les règles édictées par un Conseil tout puissant, sont expulsées hors du Mur et vouées à une mort certaine.

UN ROMAN STRUCTURE EN TROIS PHASES

Très romanesque, le récit s’organise en trois grands mouvements : l’exposition du thème et l’installation de l’intrigue, le très long déroulement de l’aventure avec l’amorce des modifications, le dénouement rapide et sa conclusion.

Le roman est à plusieurs voix, on passe de l’une à l’autre pour obtenir ainsi la description des conceptions de chacune des parties.

1 – L’enclave : l’opposition entre deux mondes

Ce premier mouvement se divise entre la parole d’une jeune fille, Laissa, en fin de formation et qui s’interroge sur la finalité de son univers exclusivement féminin et celle de Arvil, jeune chasseur isolé après la destruction de sa bande.

Les deux récits initiatiques se répondent et permettent au lecteur d’approfondir sa connaissance des caractères de la société duale construite et imposée par les femmes.

Une amie de Laissa, Birana, est exclue de la Cité. Elle est recueillie par Arvil et ses nouveaux compagnons. Elle devient leur cheffe et inspiratrice mais menace l’hégémonie des Cités en révélant la vraie nature, charnelle et humaine, fragile et sensible, des femmes, loin des « incarnations de la Déesse » que croyaient découvrir les hommes sauvages.

Birana doit donc mourir. Arvil, lors d’un passage dans un Sanctuaire, se voit confier par la Dame la charge de la mise à mort de la rebelle.

Mais, tombé amoureux de la jeune fille, il ne peut s’y résoudre, tue son tuteur qui voulait s’en charger et s’enfuie avec elle, selon un schéma assez convenu et des plus classique.

2 – Le refuge : la fuite du couple

Dans le second mouvement, la parole féminine est reprise par Birana et répond à celle du jeune amoureux éperdu, Arvil. Ce dernier apprend la vérité de la bouche de la jeune fille et perd la foi en la Dame.

Le couple parvient à persuader la Cité de la mort de Birana et s’enfuit à la recherche d’un hypothétique refuge où vivraient d’autres femmes exclues. Bien sûr, les jeunes gens s’apprivoisent l’un l’autre et découvrent les relations amicales entre sexes.

De nombreuses péripéties s’ensuivent, souvent répétitives. Ils échappent à des bandes rivales et se sauvent de plus en plus loin dans des territoires inconnus et non contrôlés. Ils découvrent un camp où vit déjà une ancienne rebelle qui accepte les relations charnelles avec les hommes pour survivre.

Birana et Arvil expérimentent enfin (page 478 sur 664!) l’acte sexuel et s’adonnent, sans retenue, à l’amour entre deux êtres de sexe opposé.

Le temps s’écoule, la femme la plus âgée meurt. Les conditions de vie deviennent difficiles. Avertie de l’existence d’une rebelle survivante, la Cité détruit le camp et ses occupants.

Seuls les amants en réchappent et se dirigent vers une zone inhabitée où ils rencontrent toutefois un petit groupe mixte composé de quelques hommes vivant avec leurs compagnes. Birana, enceinte, donne naissance à une fille. Elle souhaite la confier à la Cité d’où elle-même vient, afin qu’elle survive.

3. – Le sanctuaire : le dénouement

Retour à la Cité des Femmes pour cette troisième phase, de loin la plus courte.

Laissa reprend la parole. Devenue historienne, elle recense les légendes colportées par les hommes. Elle s’installe même dans un Sanctuaire pour enregistrer, en direct, les récits des membres des hordes.

Cette sortie de la ville crée le trouble car « Il y a des siècles qu’aucune femme n’est sortie de cette ville » (p 623).

Un jour, Laissa apprend la vérité sur la vie du couple BiranaArvil et l’existence de leur enfant. Confrontée à la jeune mère, elle accepte de pendre en charge la petite fille et enregistre l’histoire vécue par les amants. Elle admet même que l’enfant soit née de l’amour et non du viol. Les hommes ne sont donc pas seulement des brutes.

Laissa, malgré les risques de sanctions encourues, laisse fuir le couple. Elle impose leur fille à la Cité et, surtout, l’histoire de la femme exilée. Dorénavant, l’historienne vit dans une petite maison, loin des lieux de pouvoir et des élites dirigeantes où elle élève la fille de Birana.

Elle s’attelle à l’écriture du roman de la vie des amants et espère qu’un jour, lointain sans doute, la société des Femmes saura s’ouvrir et qu’un monde nouveau, pluriel, pourra renaître.

Conclusion

Ce trop long roman d’aventure et d’amour s’achève sur une vision apaisée, donc optimiste de l’avenir. La guerre des sexes n’est peut-être pas une fatalité et la domination brutale des hommes peut faire place parfois à l’amour partagé et à des rapports équilibrés.

La fin des années quatre vingt pouvait donc encore proposer une vision relativement positive des relations entre les hommes et les femmes. Ce sera moins souvent le cas pour les romans les plus récents traitant de ce sujet, comme « Le Pouvoir » de Naomi ALDERMAN, par exemple, pour lesquels l’œuvre de Pamela SARGENT n’échappe pas à une certaine candeur, voire à une relative naïveté.


A propos de la préface de Gérard KLEIN

Lors de l’édition française de 1989, Gérard KLEIN, auteur et spécialiste incontesté de la science-fiction, présente une analyse de la place occupée par les femmes dans ce genre littéraire. Il constate la part mineure qu’elles détiennent dans la production même s’il dresse la liste des écrivaines les plus intéressantes.

Dans un domaine plus large, celui de la dystopie, la situation est la même. Toutefois, trente ans plus tard, le résultat est très différent.

Ainsi, le recensement des œuvres proposées dans le présent site démontre une progression très nette du nombre des romancières. Rares avant 1980, elles atteignent, voire dépassent, la parité depuis l’an 2000.

Certes la littérature dans son ensemble se féminise, dit-on, mais la dystopie, quant à elle, devient pour certains thèmes en particulier, majoritairement féminine.

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