VOX | Christina DALCHER

Roman d’alerte sur les risques du puritanisme et de la misogynie évangélistes aux Etats-Unis, VOX illustre une difficulté inhérente à de nombreuses dystopies littéraires.

Comment développer une idée intéressante, novatrice, éclairante sans négliger les indispensables attraits romanesques de l’intrigue et les qualités du style ?

Le roman n’échappe pas à cet écueil. Il propose un thème original (limiter l’usage de la parole pour les femmes comme symbole de leur état de soumission à la religion et donc aux hommes) mais il noit ce cauchemar dans une histoire, à la fois scientifique, donc peu compréhensible, parfois maladroitement romantique, donc niaise, souvent « granguignolesque », donc ridicule.

L’auteure, Christina DALCHER, est une linguiste qui veut transmettre un message. Elle invente l’outil efficace (le bracelet compteur de mots), elle décrit avec précision le contexte religieux qui la révulse, mais elle peine à inscrire son projet dans un bon roman. C’est souvent le lot des experts qui abordent la littérature.


Quoiqu’il en soit, et malgré tout, VOX mérite de figurer dans le domaine de la dystopie, même si sur le plan littéraire on peut ressentir une certaine frustration.

 

L'édition de référence est celle publié par Pocket en 2020 sous le n° 17642.

LE CONTEXTE : les Etats-Unis basculent dans le fondamentalisme évangéliste le plus absurde

A la suite d’une élection peu mobilisatrice, les USA se réveillent dans une société puritaine soumise à l’Eglise évangélique la plus rétrograde.
Le nouveau Président est un pantin manipulé par un religieux extrémiste et fou, le Révérend CARL. Le « Mouvement Pur » qu’il instaure s’attaque tout d’abord, comme c’est toujours le cas, à la liberté des femmes. Celles-ci perdent toute autonomie (plus de passeport, plus de chéquier, plus de livres, …), elles sont surveillées par des caméras et des micros omniprésents et, trouvaille remarquable, sont limitées dans leur parole.
Dans ce but, le système institue le port obligatoire du « compte mots », un bracelet qui accorde à la femme qui le porte le droit de prononcer 100 mots par jour. Au-delà, une décharge électrique rappelle à l’imprudente qu’elle n’a plus le droit de s’exprimer. Pour celles qui persistent, la brûlure peut aller jusqu’à … la calcination de l’avant-bras.
Dans le même temps, le régime, après un an de pouvoir, met en place un modèle qui oblige de surcroît, chaque jour, les femmes, à énoncer les prières de la nouvelle religion,

« Lorsque nous obéissons à la domination masculine avec soumission et humilité, nous prenons conscience que le chef de tout homme est le Christ, et que le chef de la femme est l’homme. » (p 124)

ou encore,

« Je vais m’appliquer (…) à être pure, modeste, soumise. De cette manière, je vais glorifier l’homme, et par là même, glorifier Dieu. » (p 124)

Cette religion suit les « Principes de base de la philosophie chrétienne moderne ». Le contexte du roman doit beaucoup aux grandes références romanesques antérieures et tout particulièrement à La servante écarlate de M. ATWOOD, que l’auteure évoque ouvertement comme elle interpelle l’œuvre majeure de G. ORWELL.

Bien sûr, l’adultère est sévèrement puni, l’homosexualité bannie. Les lesbiennes et les homosexuels sont contraints aux travaux forcés et sont logés la nuit, en couples hétérosexuels, afin de retrouver la voie de la « normalité » ! Pour les femmes, c’est « le mariage ou la maison close ». Pas d’autres choix.
Tout vise dans cette société nouvelle à ce que les femmes regagnent leur place subalterne, comme à l’époque dans laquelle 

« Les hommes étaient de vrais hommes et les femmes de vraies femmes ; les choses étaient tellement plus faciles quand tout le monde restait bien à sa place. » (p 104)

Comme le déclare une épouse en invoquant son misogyne de mari :

« Lui m’expliquait qu’on avait défiler trop de fois, qu’on avait écrit trop de lettres, qu’on avait crié trop de mots. »

Il en concluait : « Vous, les femmes. Vous aviez besoin d’une bonne leçon. » (p 105)

Christina DALCHER ne supporte visiblement pas l’Amérique trumpienne et la place qu’y a prise la conception évangéliste de la religion absolue. Elle s’alarme de l’absence de discernement des femmes et dénonce en particulier la cécité des étudiantes, des diplômées, des intellectuelles au sens large qui n’ont rien vu venir de la vague réactionnaire, partie des Etats de la « Ceinture de la Bible » dans le sud-est des USA pour recouvrir peu à peu tout le territoire.
L’auteure invoque en permanence les conditions de l’élection de Donald Trump et ne s’en cache pas, comme elle ne dissimule pas la nature des forces politiques et religieuses qui inspire son action.

L’INTRIGUE : le combat d’une neurolinguiste contre l’obscurantisme

Le récit est marqué par la personnalité de l’auteure. C. DALCHER est linguiste comme son héroïne JEAN. Elles ont toutes les deux des liens étroits avec l’Italie, elles partagent la même aversion pour la religion évangéliste. Quand l’héroïne parle, puisque le roman utilise la première personne, on entend l’auteure défendre son plaidoyer et proclamer ses mises en garde.

JEAN vit depuis un an la perte de son autonomie et de sa liberté. Son désespoir est décuplé par la situation faite à sa petite fille, SONIA, déjà affublée d’un « compte-mots rose ». 
La relation au sein du couple et de la famille illustre les progrès de l’idéologie imposée. Celle-ci séduit le fils aîné et ne gêne guère les cadets, tandis que le mari semble s’en accommoder, d’autant plus qu’il a obtenu le poste de conseiller scientifique – il est médecin – auprès de la Présidence.

Les ressorts du récit s’articulent autour des recherches de l’héroïne. JEAN a en effet découvert, sans le révéler au nouveau Pouvoir, le remède contre l’aphasie de Wernicke.
Dans le cerveau, si l’aire de Broca est bien connue pour être celle de la parole, l’aire de Wernicke, plus confidentielle, en est indissociable en tant que zone de compréhension des mots et de leur sens. Ainsi lorsque l’aire de Wernicke est atteinte, le sujet ne comprend plus ce qu’il dit et aligne des paroles sans signification. L’intrigue, un peu absconse, s’organise autour de ce fait scientifique.
Le frère du Président étant atteint par ce mode d’aphasie, JEAN est invitée à reprendre ses recherches en contrepartie de la suppression de son bracelet ainsi que de celui de sa fille.
Elle retrouve son laboratoire avec ses collaborateurs proches dont LORENZO, « le bel italien » dont elle est la maîtresse et dont elle découvre qu’elle porte l’enfant.

L’intrigue hésite alors entre la romance avec les rencontres torrides des amants dans des lieux secrets et le thriller avec laboratoires souterrains, gardiens armés, chimpanzés – cobayes dangereux, seringues et trépanations, revolver et fuite salvatrice, etc.
Une ultime dimension géopolitique intervient au milieu de toutes ces péripéties. Le nouveau Pouvoir ne veut pas guérir l’aphasie mais au contraire la propager avec un anti-sérum, soluble dans l’eau et donc administrable aux femmes, aux dissidents, voire aux dirigeants des pays étrangers. Le « Mouvement Pur » pourrait ainsi régner sur le monde.

Evidemment, le Bien triomphe. Le mari de JEAN qui a rejoint la Résistance, administre l’anti-sérum au directoire de la Présidence avant d’être abattu.
JEAN peut partir avec LORENZO et ses enfants vers l’Italie et les Etats-Unis retrouver leur vraie nature démocratique…

On devine que l’intrigue, bien installée au départ dans sa volonté dénonciatrice, se perd quelque peu ensuite dans les méandres d’une aventure souvent invraisemblable.

 

CONCLUSION

Après lecture, que reste-t-il de ce roman ?
Une bonne idée, le « compte-mots » qui limite l’usage de la parole pour les femmes, qui condamne leurs voix.
Une dénonciation puissante de ce qui peut toujours advenir dans des pays démocratiques qui se croient à l’abri des menaces totalitaires qu’elles soient politiques ou religieuses.
Ce n’est déjà pas si mal pour une œuvre mineure.

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