QUI APRES NOUS VIVREZ | Hervé LE CORRE

Le roman post- apocalyptique de Hervé Le Corre porte un beau titre en hommage à François Villon et à son poème, « Frères humains », dénommé également « Ballade des pendus ».
Peinture de la fin d’un monde, le roman retrace les destinés d’une lignée de femmes vaillantes sur trois générations.
Au travers d’une narration subtile qui tresse les temporalités, le lecteur assiste à l’effondrement des sociétés contemporaines, à la création de communautés féodales et à la quête d’un futur meilleur très hypothétique.
Révélateur des angoisses dystopiques actuelles, l’œuvre est puissante, dérangeante, émouvante. Elle dépasse les nombreux textes traitant du même sujet et renoue avec les réussites du genre: « Ravage » de R. Barjavel, » Malevil » de R. Merle, « La terre demeure » de G. R. Stewart, « La route » de C. McCarthy, « Après le monde » de A. Richner…

LE CONTEXTE : la fin du monde contemporain

La remise en cause des équilibres régissant  les sociétés industrielles est classique.
Vers 2050, une pandémie fait d’abord plus de 100 millions de morts et provoque l’effondrement de la natalité et la baisse rapide de la population mondiale. Puis, les ressorts économiques et technologiques cèdent. Une panne générale sonne la fin de l’énergie électrique et à sa suite, la disparition des réseaux et des connexions Internet.
Certes, les crises s’étaient accumulées depuis 2032, lorsque le point de non-retour climatique était devenu une évidence, mais rien n’avait été fait, malgré les conséquences visibles.
 » Ils sont incapables de penser à un autre monde que celui où ils sont nés, au milieu des années 20, alors que tout n’allait pas encore trop mal, avant les pénuries, les épidémies, les émeutes de la fin et de la soif, avant que des populations entières soient poussées à l’exode, « (page 38).
Dans ce désastre global, le point final est donné par la cessation de l’approvisionnement en eau.
Les citadins fuient les villes en d’épouvantables exodes pour se réfugier à la campagne où certains tentent de maintenir en vie quelques communautés civilisées.
Mais les territoires se fragmentent. Des « chefs de guerre » créent des ensembles féodaux sous l’égide des religions et du patriarcat. Les femmes y sont réduites à l’état d’esclave et doivent obligatoirement procréer.
Face à ces milices sur-armées et violentes, les rares communautés autogérées dans le respect des droits humains tentent de survivre.
Deux générations plus tard, il ne reste plus grand chose de la civilisation. Les armes sont indispensables et le meurtre, les viols et la torture sont généralisés.
La nature est défigurée, les incendies, attisés par les fortes chaleurs, ont détruit les forêts, les cultures, les maisons.
Quelques survivants résistent et rêvent toujours d’un monde meilleur où  « ceux qui viendront après eux vivront ».

Edition de référence publiée en 2024 dans la collection Rivages/Noir aux Éditions Payot & Rivages

L’INTRIGUE : l’effondrement, l’esclavage, la quête.

L’auteur choisit un mode de construction narratif audacieux qui ne facilite guère la compréhension du déroulement de sa saga.
En effet, il entremêle trois temporalités emboîtées, qu’il traite cependant concomitamment.  Chacun des chapitres aborde, de front, l’histoire de trois couples « mère-fille » successifs sur 70 ans (2051-2121).
Concrètement, l’on découvre en même temps les  vies de la mère, Rebecca, de sa fille, Alice, de sa petite-fille, Nour, accompagnée de son propre enfant, Clara.
Les destinées des femmes illustrent la disparition d’un  monde défunt. Elles comportent parfois un mari, un compagnon, un fils. Toutefois, les figures centrales sont avant tout féminines.
Au risque de trahir le propos de l’auteur, la présente fiche reprend les principaux événements dans L’ORDRE
CHRONOLOGIQUE.

1. L’effondrement

Rebecca, son mari Martin et son bébé Alice ouvrent le temps historique (si ce n’est le récit).
Ils vivent en 2051et assistent à la « Grande Panne » et à l’explosion de leurs vies.
Martin disparaît dans les émeutes.
Le chaos s’installe, les hôpitaux ne peuvent faire face, puis l’eau vient à manquer.
Rebecca et Alice fuient en  compagnie de Aïssa, la voisine infirmière. Elles rejoignent les parents de cette dernière dans le Sud. Elles assistent à l’exode des populations, elles aident et soignent ces personnes désemparées.
Puis un autre Ordre se met en place. Des groupes paramilitaires attaquent les villages, tuent beaucoup d’hommes, enlèvent les femmes et les enfants. In extremis, Rebecca et Alice parviennent à fuir alors que leur bourg est mis à sac.
Dix ans plus tard, elle survivent, heureuses, dans une petite communauté rurale qui pratique élevage et jardinage.
Mais cela ne peut durer, les miliciens du grand Domaine voisin les capturent. Rebecca disparaît. Alice est enfermée, avec d’autres enfants, dans une collectivité archaïque et carcérale.

2. L’esclavage

Alice survit péniblement dans une société religieuse, patriarcale et esclavagiste. Elle est mariée de force et a un enfant, Nour.
Elle est contrainte  d’effectuer les travaux des champs, avec les autres femmes et sous la surveillance de gardiennes âgées et féroces et d’hommes armés trop jeunes pour combattre.
Le Domaine est dirigé par des miliciens au nom des grandes religions passées. Il est constamment en guerre avec les entités qui l’environnent.
Lors d’une attaque, le mari d’Alice est tué. La mère et la fille fuient et sont accueillies par une importante communauté libérale, la Cécilia, où elles passent des jours apaisés.
Cinq ans plus tard, Nour rencontre Gabriel et se retrouve enceinte.
En 2097, une tempête majeure noie la Cécilia. Alice meurt dans un accident comme de nombreux résidents.
Cependant, peu à peu, la communauté se reconstruit. Nour donne naissance à Clara.
Mais les conflits avec le Domaine reprennent, les soldats massacrent les membres de la Cécilia malgré les offres de paix de ceux-ci. Gabriel est abattu.
Nour et Clara fuient à nouveau avec l’aide de Marceau et de son fils Léo.

3. La quête

Le quatuor investit une maison abandonnée où ils parviennent à survivre.
Une nuit, ils sont attaqués, la maison est brûlée, Marceau est blessé, Clara est violée.
Les héros reprennent la route à la poursuite des assaillants.
Après maintes péripéties et rencontres étonnantes, alors qu’ils traversent « des étendues calcinées et des chaos d’arbres morts » et qu’ils se sont vengés, ils sont arrêtés par les habitants d’un village et emprisonnés. Le chef de cette communauté archaïque retournée aux coutumes du Moyen-âge est le père du violeur !
Marceau est condamné au supplice du pilori, auquel doivent obligatoirement assister ses trois compagnons de route.
Mais, coup de théâtre, ils sont libérés par les villageois en révolte contre leurs chefs corrompus.
Après de belles scènes d’action, ils partent à la recherche d’un havre de paix, lieu de légende « sans seigneur, ni tyran », signalé dans le nord du pays.
Leur quête les mène à Paris, en ruines et retourné à l’état sauvage, proche de celui qu’évoque J. P. Andrevon dans son beau roman, « Le monde enfin ».
Ils échappent miraculeusement aux griffes des bandes qui se disputent le territoire de la capitale et sont sauvés par les membres de la communauté mythique du Nord.
Ils ont atteint leur but.

CONCLUSION

Le beau roman de Hervé Le Corre se nourrit des craintes de l’époque.
La catastrophe arrive et l’on ne fait rien…
Pandémies, dérèglement climatique, crise énergétique, pouvoirs totalitaires annoncent la fin des sociétés modernes. L’effondrement est inévitable. Et quand les équilibres fragiles de la civilisation ne sont plus préservés, le chaos s’installe, la violence règne et les systèmes les plus primitifs prospèrent.
Selon l’auteur, il faut trois générations pour espérer rebâtir une société démocratique et encore, ce n’est pas certain.
En cela, « Qui après nous vivrez » constitue à l’évidence une dystopie sombre et désespérée, éminemment contemporaine.  

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