Rédacteur d'une autobiographie imaginaire dans un contexte particulièrement dystopique, l'auteur renoue avec une tradition ancienne, celle du manuscrit retrouvé et exhumé comme témoignage d'un passé révolu. Ce "Journal d'un vieux cabochard", rédigé en 2066, dans ce qu'il reste de la ville catalane de Reus, lieu de naissance de Pablo Martin Sanchez, est agrémenté de multiples références savantes, de dessins finement calligraphiés, de jeux, de poèmes, de recettes,... Ce curieux objet rend hommage au statut de l'auteur, membre éminent de l'Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle ), groupe d'érudits qui travaille depuis plus de 60 ans sur la littérature sous contrainte et...
LireRédacteur d’une autobiographie imaginaire dans un contexte particulièrement dystopique, l’auteur renoue avec une tradition ancienne, celle du manuscrit retrouvé et exhumé comme témoignage d’un passé révolu.
Ce « Journal d’un vieux cabochard », rédigé en 2066, dans ce qu’il reste de la ville catalane de Reus, lieu de naissance de Pablo Martin Sanchez, est agrémenté de multiples références savantes, de dessins finement calligraphiés, de jeux, de poèmes, de recettes,…
Ce curieux objet rend hommage au statut de l’auteur, membre éminent de l’Oulipo (Ouvroir de littérature potentielle ), groupe d’érudits qui travaille depuis plus de 60 ans sur la littérature sous contrainte et dont Raymond Queneau est le grand ancêtre.
« Reus, 2066 » constitue à la fois un exercice littéraire réussi, une confession autobiographique rare, une projection historique effrayante, une réflexion sur l’art de l’écriture.
En cela, il s’agit d’une des dystopies les plus originales de la décennie.
LE CONTEXTE
Le contexte est nettement dystopique même si les éléments historiques sont peu précis. Dix ans plus tôt, une troisième guerre mondiale a ravagé le monde après l’attentat bioterroriste survenu au Stade de France et qui a provoqué 30 millions de décès en Europe.
En Espagne, une guerre civile a suivi la proclamation de l’indépendance de la Catalogne.
Enfin, conséquence de la guerre bactériologique, un Pacte de la Honte, signé entre la Communauté européenne et les États-Unis, a proclamé l’évacuation totale de la Péninsule ibérique au 1er octobre 2066.
Après une phase de résistance et d’affrontement avec la Police, on assiste à la fuite généralisée de la population.
Seuls quelques réfractaires décident de rester, dans un environnement de non-droit assumé et de barbarie totale.
C’est le cas du héros, rédacteur du journal, sujet du roman, et de son groupe réfugié dans un hôpital gériatrique de la ville de Reus. L’action se passe neuf mois après la Grande Panne qui a définitivement signifier la fin de l’alimentation électrique et des technologies qui lui sont liées. Elle décrit les conditions de survie difficile du groupe dans l’attente de la conclusion du Moratoire, date limite pour quitter le territoire.
L’INTRIGUE
Le roman prend la forme du journal d’un très vieux témoin ( 89 ans!), résident depuis 8 ans d’une structure hospitalière, Pere Mata.
Malgré les demandes pressantes de sa fille, ce « Vieux cabochard » refuse de quitter les lieux où il résiste au sein d’un groupe d’une douzaine de personnes, certains plutôt âgés, d’autres encore jeunes dont une femme enceinte et même quelques membres de l’ancien personnel. Ainsi, une figure centrale émerge, le docteur Audrey.
La vie au sein de Pere Mata prend des allures de robinsonnade, avec potager, poulailler et même chèvre pour le lait.
Cependant, ce camp retranché est soumis aux attaques de personnes isolées, il est donc armé et n’hésite pas à se défendre voire à tuer.
Le héros raconte sa vie par le menu, évoque le passé, fait étalage d’érudition et philosophe volontiers. Il se blesse et se déplace en fauteuil roulant, il décrit ses états d’âme y compris les sentiments forts (et partagés) qu’il ressent pour Audrey. Régulièrement, le groupe se réunit en assemblée générale et débat des problèmes de survie et bien sûr, question ultime, de la décision de demeurer ou non à l’hôpital.
Le groupe se réduit peu à peu, l’un quitte Pere Mata sans prévenir, la plus âgée meurt, deux autres décident de fuir le pays avant la fin du Moratoire.
Puis une jeune fille aveugle, Naisha, intègre l’équipe avec son chien-robot.
Mais les événements se précipitent et le récit prend un tour plus dur.
La petite bande est victime de plusieurs attaques. Les morts se succèdent et le nombre des survivants se réduit fortement. Seuls le vieil homme, Audrey, la jeune fille et un nouveau-né résistent avec difficulté.
Quand les Forces de la Fédération Européenne signalent qu’un bateau attend les derniers réfractaires au port de Salou, ceux-ci devront faire un choix définitif : fuir la Catalogne ou demeurer sur place et affronter le pire.
CONCLUSION
« Reus,2066 » compose un long récit autobiographique. L’auteur aura 89 ans en 2066 comme le narrateur qui a été écrivain, traducteur, membre de l’Oulipo comme lui.
Dans une mise en abîme subtile, l’auteur se projette sur les 45 ans à venir et ce n’est pas réjouissant…
Troisième guerre mondiale, guerre civile, utilisation d’armes bactériologiques jusqu’à la Grande Panne électrique pour contraindre la population à quitter le pays : rien ne manque dans l’ambiance dystopique qui règne, ni le désespoir, ni la violence, ni la barbarie.
Mais tout n’est pas perdu puisque le prologue, situé en 2108 !, présente ce « Journal d’un vieux cabochard » comme le témoignage d’un passé révolu, exhumé et publié par un Institut International d’Histoire Sociale.
S’il y a encore des historiens et des universitaires, c’est qu’il y a encore civilisation…
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