DE L'AUTRE CÔTÉ DE LA VIE | Fabrice Humbert

Publié le 7 novembre 2025

Un père veut sauver ses enfants dans un Paris de cauchemar, dans une France en chaos.

On pense à « La route » de Cormac McCarthy,  mais en très « français », en plus « poli ». Comment un père ordinaire, pacifique, pourrait-il devenir un guerrier sans pitié lorsque « l’humanité commune n’existe plus »?
Le roman est aussi une longue réflexion sur le » monde d’avant », sur le long délitement de la société et son virage inéluctable vers la haine.
Le héros (et à travers lui l’auteur) s’interroge sur ce qui a été fait et surtout sur ce qui n’a pas été fait pour préserver les équilibres indispensables à toute vie en société.
Comment en est-on arrivé à l’affrontement entre deux blocs comme lors des guerres de religion?
Le roman pose cette question et avance aussi un message: est-ce ce qui nous attend ?
A ce titre, le  texte de Fabrice Humbert interpelle le lecteur et il n’est pas facile de supporter cette mise en cause de ce que nous sommes devenus.

« Je sais que vous comprenez ce que je dis… nous n’avons pas réagi, vous n’avez pas réagi… Mais maintenant, nous partageons tous le même festin du malheur… J’ai peut-être tort de m’adresser à vous mais si je n’écris pas seulement pour moi, à qui d’autre que mes contemporains puis-je parler ? »(p 99).

Ce roman-monologue, très littéraire, à l’écriture soignée, a été publié en 2025 chez Calman Lévy.

 

L'ouvrage de référence est celui publié en 2025 chez Calman Lévy

LE CONTEXTE 

La guerre civile règne. Tous les équilibres sont rompus. Paris et la France sont livrées aux affrontements entre les « Rouges » de la Commune et les « vrais Français », les « Bleus » proches du Pouvoir.
En effet, les milieux populaires ont créé une zone indépendante sécessionniste dans l’est de Paris. Ils assiègent la Capitale où les Bleus, peu soutenus par ce qu’il reste de l’armée, résistent difficilement. La défaite de ces derniers semble inévitable.
Les riches, pour leur part, ont créé à cheval sur la frontière belge, une zone protégée sous globe pour échapper aux intempéries. Dans un univers d’opulence, les fortunés prospèrent  tant qu’ils peuvent payer. Dès que l’argent manque, ils sont expulsés.
En face de ces combats fratricides, une poignée d’individus ont fondé une petite République libre dans un coin reculé du Jura.

Le temps de l’innocence est révolu, l’époque est à la violence généralisée.
Au-delà des explications économiques, sociales, identitaires, tout a basculé sans que l’on sache vraiment comment.
Il ne reste plus que la guerre car « nous étions inoffensifs et maintenant, ceux qui le sont restés sont morts ou esclaves »( page 25).

L’INTRIGUE

Le narrateur conte sa fuite le long des routes mais évoque aussi son passé et les époques « d’avant ».
Il vole une voiture puissante en état de marche, il y charge ses deux jeunes enfants, Alexandre et Alice.
Il n’hésite pas à user de la force, contre les pillards qui barrent le chemin, contre les gardiens qui interdisent le Périphérique.
Il parvient ainsi à l’Autoroute mais doit la quitter  pour emprunter les voies secondaires  d’Île-de-France. Lors d’une pause, ils sont accueillis par des hommes en armes et invités dans un château. Ils y sont nourris et logés, mais les choses se gâtent rapidement. Ils sont contraints  d’abandonner leur voiture et de partir à pied, avec leurs deux valises à roulettes…
Condamnés à cet « exode », les enfants sont fatigués , mutiques, « ce sont les enfants du malheur ».
Ils rencontrent Abraham, jeune homme qui s’est lui aussi échappé du château. Ils feront dorénavant la route ensemble pour rejoindre la mythique République libre du Jura, réputée pour avoir fait sécession avant la guerre civile et  demeurer un havre de paix, de liberté et d’accueil.

De rencontres néfastes  en poursuites  effrénées, ils  rencontrent des fermes détruites  et affrontent des menaces bien réelles. Heureusement, quelques îlots d’humanité leur permettent de survivre et de parvenir, sans Abraham tué en route, aux portes du Jura.
Epuisés, désespérés, vaincus, ils s’allongent tous trois, et sombrent dans « ce sommeil de la faiblesse qui précède la mort »(page 154).

L’auteur choisit alors une rupture romanesque. En effet, son héros se réveille dans un lit, ses enfants sont près de lui, repus et en bonne santé.
Sans le savoir, ils avaient atteint la République du Jura !
Mais celle-ci s’avère une structure très légère, un village de montagne, peuplé de 400 âmes et protégé par une frêle palissade.
Le père, sensible au calme qui règne, pense toutefois à l’avenir.
Comment quelques idéalistes peuvent-ils  résister à la violence, comment une utopie,   aussi pure soit-elle, peut survivre à la guerre civile ?
Alors que l’on apprend que les « Rouges » ont conquis Paris, puis Lyon,  la République Libre du Jura, fidèle à ses idéaux pacifistes, refuse la résistance…
Le  père, qui a fui avant l’assaut subi par le village, reste seul avec ses deux enfants survivants et proclame encore et toujours sa soif de vivre :
« Ne croire à rien, ne rien espérer, ne rien attendre, juste vivre. Cela devrait suffire ». (phrase finale, page 235).

CONCLUSION

Le beau roman de Fabrice Humbert  est parcouru par une interrogation existentielle , la haine doit-elle toujours triompher et avec elle la mort ?
Dystopie désespérée, écrite à hauteur d’homme, ce  récit est celui d’un père, faible, sans cruauté,  civilisé pourrait-on dire. 
Le monde de la concorde sereine et de la  beauté calme est donc définitivement derrière nous.
C’est le message que privilégie l’auteur, persuadé, semble-t-il, qu’il est déjà trop tard pour restaurer les grands équilibres démocratiques nécessaires à toute société heureuse.
Le pire n’est pas toujours certain, peut-on lui opposer.  

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