AU NORD DU MONDE | Marcel THEROUX

Annoncé comme « LE western du Grand Nord », le roman de l’auteur anglais, Marcel THEROUX, publié en 2009, choisit un espace bien particulier, la Sibérie.

Les pionniers qui ont tenté de donner vie aux steppes et taïgas sont dorénavant seuls et les villes récemment créées sont désertées. 

A la fois dystopie de fin du monde et roman d’aventures, la chevauchée solitaire du héros de AU NORD DU MONDE s’inscrit dans une tradition romanesque solide.

L’œuvre fait écho à « La terre demeure » de George R. STEWART et à « La route » de Cormac McCARTHY, elle annonce plusieurs textes plus récents, « Terminus radieux » de Antoine VOLODINE et surtout « Après le monde » de Antoinette RYCHNER. 

Et la question ultime se pose toujours : sommes-nous vraiment les derniers ? Au-delà des zones abandonnées, ne survit-il pas une civilisation digne du passé ?

LE CONTEXTE : la chute du monde des pionniers

Les pionniers, essentiellement des quakers américains, avaient quitté une société d’abondance mais en perte de sens pour retrouver une vie ancrée dans la Nature. En un mot, plutôt la Sibérie que Chicago !

Le héros, qui se révélera très vite être une héroïne, décrit ainsi le projet de ses parents :

« Mais des hommes et des femmes comme mon père rêvaient de quitter leur ville, de planter des racines nouvelles sur cette terre pour qu’elles poussent dans les petits arpents que leurs ancêtres avaient travaillés à la main. Ils avaient privilégié ce choix (…) aux  rêves de vitesse, de cités de verre et de luxe que poursuivent les hommes qui savent qu’ils ne connaîtront jamais la faim. » (p 71)

Couverture Au nord du monde de Marcel Theroux
L'ouvrage de référence est celui des Editions Zulma paru en 2021.

Le seul territoire disponible sur Terre étant la Sibérie, les russes ont accepté de louer leurs terres vides aux colons occidentaux. Ceux-ci demeurent cependant des apatrides, des citoyens de seconde zone. Soixante dix mille personnes ont ainsi fait le voyage et se sont installés pour vivre leur foi évangéliste dans un cadre nouveau et y attendre la fin du « vieux monde ».

Elevage et culture constituaient la base de la société rurale nouvelle, aidés par le réchauffement climatique grandissant.

Au début, tout alla bien, mais ensuite, la nature humaine reprit ses droits et ses mauvaises habitudes car « le monde n’est pas sentimental, il est sans pitié ». Les villes lointaines des pionniers, régies par les préceptes religieux fondés sur la non violence, sont peu à peu rejointes par des émigrés du Sud qui fuient le désastre des sociétés anciennes.

Très vite la volonté d’accueillir, devant les exactions des nouveaux venus, fait place à la volonté de réagir et de résister. Des milices se créent et même une police, à laquelle participe l’héroïne après qu’elle ait été défigurée par des opposants à la ligne humaniste incarnée par son père. Ce dernier, devant la faillite de ses idéaux, se suicide.

L’utopie « sibérienne » s’effondre et le « nouveau monde » régresse vers un état de violence primaire.

L’INTRIGUE : une femme forte

Makepeace, l’héroïne, se déplace à cheval, avec ses armes, sa méfiance et son savoir-faire. Sa famille a disparu, la ville qui l’a vue naître est vide.

Elle survit tant bien que mal jusqu’à ce qu’elle découvre une jeune femme enceinte qui donne un sens nouveau à son existence. Toutefois celui-ci est remis en cause lorsque la mère et l’enfant meurent lors de l’accouchement. 

Alors qu’elle met en œuvre son suicide, elle aperçoit un avion dans le ciel. Même si celui-ci s’écrase au sol, sa présence prouve qu’un « ailleurs » existe.

Makepeace prend la route à la recherche de ce nouvel horizon. Avec deux chevaux, la jeune femme dont l’aspect masculin domine, affronte la neige, le gel, le froid. Elle fait une première rencontre, celle de la petite colonie d’Horeb dirigée par un ecclésiastique. Trop confiante, elle ne peut échapper à l’emprisonnement. Elle sera vendue à un marchand d’esclaves. 

Enchaînée avec d’autres détenus, elle marche pendant des mois jusqu’à rejoindre la « Base » distante de 1600 kms de sa ville natale, « Evangeline ». 

Réduite à l’état de servage, elle survit dans ce qui est à la fois un camp d’internement et une ferme-prison où elle est nourrie mais travaille dur. Elle restera cinq ans dans ce camp.

Elle y fait des rencontres dont un « mahométan » avec qui elle tentera de maintenir des relations.

Son sort s’améliore, elle est intégrée dans le corps des gardiens. A ce titre, elle est désignée avec d’autres collègues pour accompagner les quelques détenus qui doivent se rendre dans la « Zone », ville abandonnée et contaminée par la radioactivité.

Marcel THEROUX qui a fait des études approfondies du site de Tchernobyl, donne une description marquante de la cité irradiée.

Les péripéties s’enchaînent de manière romanesque. 

Makepeace prend la fuite, retrouve un avion, règle ses comptes et finit par abandonner son rêve d’une ville qui aurait échappé au désastre. Elle retourne là où elle est née pour mettre au monde la fille qu’elle a conçue avec son ami musulman. 

A la fin du récit, elle vieillit dans sa maison et attend l’ultime étape de sa vie, lorsque sa fille sera partie vers son destin. Elle a rédigé ses souvenirs, elle peut s’éteindre.

CONCLUSION

Récit étrange, suscité par la rencontre d’une survivante installée dans la zone interdite de Tchernobyl, AU NORD DU MONDE propose surtout un magnifique portrait de femme. 

Celle-ci résiste, toujours, et mène, sur la durée longue de son existence, la même quête de ce qui reste d’irréductible dans l’humanité lorsque toute civilisation a disparu. Car la peur définitive est bien celle de l’anéantissement,

« Chacun s’attend à assister à la fin de quelque chose. Ce à quoi nul ne s’attend, c’est à assister à la fin de toute chose. » (p 301-302)

Le roman de Marcel THEROUX est une dystopie, certes désespérée, mais aussi un récit d’aventures pétri de résilience. Même face à la fin du monde, on peut rester un homme, et peut-être surtout une femme, profondément humain.e.  

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