Ce très (peut-être trop) gros roman aborde la problématique de l’eau, ce bien essentiel qui, lorsqu’il vient à manquer, attise toutes les convoitises et pousse certains à en vouloir privatiser les sources.
C’est aussi le récit d’une revanche, celle des opprimés (les victimes, les pauvres, les africains, les indiens d’Amérique,…) contre le pouvoir technologique et agressif des Puissants.
En définitive, les industriels dominants, les riches propriétaires, les suprémacistes blancs, les experts militaires seront éliminés dans cette saga au rythme soutenu et où quelques héros solitaires se regroupent pour vaincre le malheur, faire triompher la justice et… l’amour.

Publié en 2006, l’ouvrage de J. M. Ligny propose une vision du futur de 2030. Les prévisions font peur mais sont, hélas, de plus en plus crédibles.
Même si un optimisme, parfois naïf, transparaît avec un soupçon de magie peu vraisemblable, cela confère un dynamisme indiscutable à ce roman-fleuve réussi.

D’abord publié en 2006, chez  » L’ Atalante », le texte est réédité par Gallimard dans la Collection Folio /SF (n°526) depuis 2015. Cette version fait ici référence.

LE CONTEXTE : un effondrement du monde industrialisé dans un environnement politique et climatique en chaos.

Quand un lac disparu réapparaît en sous-sol dans les radars des satellites, les désirs d’appropriation s’exacerbent.
Quand la ressource se situe dans le pays le plus pauvre d’Afrique, la lutte s’intensifie entre les revendications légitimes des autochtones agonisants, appuyés par des ONG et celles du capitalisme américain qui a découvert le gisement grâce à sa technologie de pointe et veut la privatiser en accaparant l’eau pour les besoins d’une Amérique désertifiée.

Tout cela se passe bien sûr dans un contexte de réchauffement climatique grave dans certaines zones et de montée des eaux dans d’autres. À quoi il faut ajouter une généralisation  de la dérégulation des rapports géo-strategiques entre les États et une dégradation des relations entre les individus conduisant à toujours plus de violence et de haine.
« L’Amérique retombée dans une barbarie pire qu’au temps du Far West, l’Europe à genoux, (…), la Chine qui se remet à peine de l’effondrement du barrage des Trois-Gorges, les typhons géants qui ont dévasté les Philippines (…), les archipels polynésiens qui s’enfoncent sous les eaux…  » (p 183).

L'ouvrage de référence est celui publié chez Folio Sf n°526

Le zéro-immigration en Occident est une réalité. Les frontières sont étanches sur tout le globe, la séparation Nord/Sud est dorénavant infranchissable.
Le clivage entre riches et pauvres est absolu . Les premiers vivent dans des enclaves protégées par des champs de force et parfois sous globes de protection. Les autres errent à la surface de la Terre, se battent entre eux, meurent de soif et de faim.

L’INTRIGUE

Dans ce contexte apocalyptique, l’auteur assemble les composantes d’un grand Roman-feuilleton.
Un couple de héros atypiques réunit une jeune femme blonde, jolie et déterminée, partie de Saint Malo pour assumer sa fonction de responsable humanitaire et un hollandais, seul depuis que sa famille a disparu dans la rupture des digues de son pays, provoquée par un attentat fomenté par une secte religieuse.
Une mission, qui vise à sauver un pays de l’agonie, le Burkina Faso, grace à la mise en œuvre d’un forage sur le lac enfoui. Pour cela, il faut d’abord acheminer le matériel et traverser le nord de l’Afrique. Ce « road-movie », trés documenté et souvent lyrique, apporte ses plus beaux passages au récit.
Un pays emblématique de la pauvreté, le Burkina Faso, offre une vision plus optimiste de l’humanité. Il est présidé par une femme puissante, intègre, efficace, aidée par ses deux fils.
En contrepoint, une Amérique à la dérive, avec un État, le Kansas, partagé entre des enclaves protégées et des rebelles « hors système » particulièrement violents, a gardé ses chefs d’industrie, avides et dominateurs.
L’un d’eux, Anthony Fuller, résume la position de ces élites. Il dirige l’un des plus grands consortium américains. Il a découvert la source existant au Burkina grâce à ses satellites et compte bien la monnayer grassement. Dans ce but, il a recours aux services para-militaires de son pays et peut mener un coup d’état si on lui résiste.
Sa famille est déchirée. Son fils aîné est assassiné, son cadet, issu d’un clonage raté, est gravement handicapé, mais doté de pouvoirs surnaturels exceptionnels.
Pour compléter le tableau de la situation, il faut citer l’existence d’une redoutable « Divine Légion », héritière du Ku Klux Klan, qui revendique, elle aussi, le pouvoir.
Enfin, des propriétés magiques se répondent et s’affrontent. La vitalité africaine ancestrale, maîtrisée par les détenteurs de la tradition (la propre mère de la Présidente) combat ainsi les dons puissants et malfaisants d’un pure produit de la civilisation moderne, un clone déficient.

Les différentes lignes narratives se rejoignent progressivement et constituent une intrigue riche et mouvementée.
On ne peut résumer 950 pages d’actions, d’épreuves, de catastrophes, d’humour aussi.
Au final, les méchants sont punis, les gentils sont récompensés, comme dans tout récit d’aventure.
Le « super-héros » hollandais parvient à vaincre ses ennemis et devient un formidable guerrier.
La jolie héroïne découvre l’amour en Afrique où elle pourra fonder une famille avec le jeune fils de la Présidente.
Cette dernière peut désormais restaurer la relative opulence de son pays grâce à l’eau retrouvée.
Le capitaliste américain meurt, son fils handicapé aux pouvoirs maléfiques aussi.
La Divine Légion est décimée.

Parfois, la dystopie peut ouvrir sur une utopie…

CONCLUSION

On ne peut que rester admiratif devant une ample saga qui part des Pays-Bas et de Saint Malo pour parvenir au cœur de l’Afrique et qui mêle un « road-movie » haletant, un coup d’état, des scènes d’action dignes d’un thriller, des images apocalyptiques inoubliables et même une « romance » sympathique sans oublier un appel à la magie pour apporter un « supplément d’âme ».
Tout y est.
Et même s’il peut paraître un peu long, le roman de J. M. Ligny se fait remarquer par l’érudition déployée, la belle maîtrise de l’intrigue, le style flamboyant.
Il mérite les nombreux prix qui lui ont été décernés.  

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