L'OBSCUR | Philippe TESTA

L'édition de référence est celle publiée en 2020 chez Folio SF sous le n° 697

Roman du désenchantement, l’œuvre de Philippe TESTA doit beaucoup à la Suisse, patrie de l’auteur.

Lausanne, lac Léman, le calme et le sérieux insupportent visiblement un écrivain qui dénonce une société de « pantins dociles, obéissants, prêts à faire tout ce qu’on exige » (p 142).

Le texte relève d’un puissant contraste puisqu’il s’agit de décrire et d’analyser le choc que provoque dans un des mondes les plus policés d’Europe, la disparition de l’énergie électrique. L’auteur, dans ce futur proche, force le trait à la fois dans sa peinture de l’univers formaté de la société suisse puis dans celle du chaos absolu qui règne lorsque tous les tabous ont été levés.

Dystopie en fin de compte classique, L’OBSCUR doit sa réussite à cette opposition entre le conformisme extrême et la barbarie la plus radicale.

D’abord publié en Suisse chez Hélice Hélas Editeur en 2020, le texte paraît en 2022 dans la collection Folio SF sous le n° 697. Cette dernière édition fait référence pour le présent article.

LE CONTEXTE 

Dans un futur immédiat, la société occidentale a développé ses « tendances » à l’individualisme, à la compétition dans la sphère du travail, à la croyance dans une croissance continue, au recours généralisé aux médicaments. Mais la cupidité des élites qui ont oublié toute réalité sociale provoque en réaction, violences urbaines sur base de frustration, haine des exclus y compris dans les zones lointaines annexées par les riches retraités. 

L’auteur affectionne les termes anglo-saxons qui ont pris tant d’ampleur dans nos sociétés contemporaines, cela illustre le propos mais ne facilite pas toujours la lecture. 

C’est dans cet univers artificialisé et hyper moderne que progressivement l’énergie électrique vient à faire défaut. Philippe TESTA décrit, comme bien d’autres avant lui (on pense ici à René BARJAVEL), les conséquences de cette rupture dans les équilibres. Il le fait avec force et retrouve parfois l’inspiration d’un Cormac Mc Carthy dans « LA ROUTE », œuvre emblématique de la fin de notre Monde.

L’INTRIGUE

Le héros, Marvel, a la parole. Bureaucrate sans relief, il mène une vie calme. L’incipit définit le personnage :

« Je mène une vie très conforme, sans surprises et sans remous, même si (…) le monde semble de plus en plus agité. Les jours se ressemblent et ne laissent pas de traces » (p 13)

Marvel doute de l’intérêt et du sens de son travail. Selon son frère aîné, Formose, bien mieux intégré que lui, il manque de motivation. En résumé, il ne veut céder ni à l’ambition, ni au confort, ni aux mirages de la Technologie. Il refuse de devenir « un esclave de l’artificiel ».

Il est amoureux de Pia, marginale comme lui et récemment « requalifiée » (licenciée) par son employeur, selon l’euphémisme à la mode. 

Dans ce monde lisse et politiquement correct, des fissures apparaissent. Les premières coupures de courant perturbent activité professionnelle et vie privée. Les violences urbaines se développent, des « bandes de jeunes inactifs » tabassent de bons citoyens. 

Lors d’une nouvelle coupure, Marvel est chargé de défendre l’accès des bureaux directoriaux contre des manifestants, ce qu’il ne peut faire. Il sera donc « requalifié » lui aussi par un encadrement indifférent aux difficultés des salariés.

Tout se dérègle alors, les parents retraités de Marvel, installés au Kenya dans un site protégé, sont agressés par les autochtones et sont contraints de rentrer en Suisse. Le frère de Marvel est quitté par sa femme et « requalifié » à son tour. 

Une ultime coupure de courant, définitive, achève de dégrader l’environnement dans lequel vit Marvel, réfugié chez sa compagne Pia. Après plusieurs jours, les supermarchés sont pris d’assaut et les vigiles tués. Les pillages s’intensifient, les destructions aussi. Les cours d’immeuble se barricadent et les habitants s’arment. Des bandes font régner la terreur et la barbarie se généralise. Marvel et Pia s’isolent dans leur logement et tentent de survivre. 

Le roman bascule dans un autre registre. On quitte la Suisse civilisée et soumise à l’Ordre et à la Discipline pour rejoindre une autre réalité, celle de la faim et du meurtre. 

Souffrant de l’absence de nourriture, Marvel part à la recherche d’aliments, il rencontre des gens à l’agonie, des cadavres pourrissants, des groupes agressifs et dangereux. Les mouches et la puanteur s’installent :

« L’odeur aussi va me faire perdre la raison. Impossible de s’y habituer. Elle est partout, infecte. La chair morte, la décomposition. Des cadavres sont disséminés dans les rues, sur les trottoirs et les pas de portes, dévorés par les chiens, les chats, les oiseaux noirs dont les cris ressemblent à des rires éraillés. » (p 164/165)

Marvel se résout à recourir à l’ultime solution : il prélève de la viande sur les cadavres, l’aromatise et la grille. L’anthropophagie comme ultime remède à la faim démontre comment la société suisse est revenue en peu de temps au stade premier de la survie.

Nourris par la chair de leurs semblables, Pia et Marvel retrouvent des forces et quittent la ville pour rejoindre la périphérie. Ils y découvrent une bande de survivants armés qui acceptent la jeune femme mais pas son compagnon. 

Pia rejoint le groupe et abandonne Marvel qui attend, seul mais en vain, qu’elle revienne. 

Dans un épilogue éloquent le héros vieillit dans un monde nouveau. Il n’a pas rejoint l’un des groupes qui vivent en autarcie. Il est autosuffisant et ne regrette pas le monde d’avant, celui de la course à l’efficacité et à l’ambition. Il se satisfait de ce retour à l’état premier de la civilisation humaine.

« On en est revenu à une situation qui avait été la norme durant les centaines de milliers d’années antérieures à l’apparition de l’agriculture. S’ils se regroupent, les hommes adoptent spontanément les modes de fonctionnement de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs (…). C’en est fini des apparences, des symboles et de toutes les vanités, de ce besoin de se démarquer et d’accumuler qui montrait surtout à quel point l’être humain était angoissé. » (p 205)

Marvel attend la mort en songeant à Pia, son amour inoubliable.

CONCLUSION

Encore un roman de fin du monde avec la description d’une société de consommation trop satisfaite d’elle-même pour voir les inégalités croissantes et où il suffit d’un manque majeur pour que tout bascule. 

En un mot, plus d’électricité et la civilisation disparaît.

Sans épidémie, sans guerre, sans catastrophe naturelle, une simple rupture technologique parvient à rompre tous les équilibres fragiles de la société industrielle.

L’OBSCUR est un roman court mais une dystopie terrifiante.

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