Dystopie politique sur la guerre des civilisations, le roman de Douglas Kennedy ne laisse guère d'espoir. Ou nos sociétés sombrent dans l'obscurantisme religieux le plus rétrograde, ou elles appliquent la...
LireSUKRAN | Jean-Pierre ANDREVON
Petit thriller sympathique, à vision géopolitique prémonitoire, ŠUKRAN, « merci » en langue arabe, est révélateur du style imagé et souvent humoristique de l’auteur ainsi que de son engagement écologiste et pacifiste, anti-raciste et quelque peu anarchiste.
Grand Prix de la SF française en 1990, le roman mérite d’être relu, trente ans après, pour l’étonnante actualité des enjeux évoqués et du contexte décrit.
MARSEILLE, SOUS LES EAUX ET SURPEUPLEE
Rédigé à la première personne, le roman se passe dans un Marseille du futur surpeuplé où la mer gagne du terrain et où les populations maghrébines représentent déjà près de la moitié des résidents.
« La nuit n’avait pas considérablement varié d’intensité, elle était toujours rosâtre, remplie de cette brume persistante que mes compatriotes prétendent causée par les innombrables méchouis que font à longueur de nuit les 45% de maghrébins que compte désormais la cité phocéenne et ses favellas. » (p 25)
La montée des eaux modifie la géographie urbaine ;
« Peu à peu, Marseille (comme de nombreuses autres villes côtières) prenait des allures vénitiennes ; on y avait les pieds dans l’eau. » (p 98)
TENSIONS POLITIQUES ET AFFRONTEMENTS NORD-SUD
Le contexte politique est tendu après les résultats peu glorieux de la Croisade anti-islamique lancée par l’Occident.
Les nombreux soldats contraints de s’engager pour mener le combat au Moyen-Orient, ont été démobilisés, sont chômeurs et vivent d’expédients. Comme le héros narrateur, Roland CACCIARI, ce sont des « demos », sans ressources.
Face à l’Europe, les pays arabes se sont regroupés en une puissante « Fédération pan-islamique », rigoriste et belliqueuse.
En Occident, les mouvements politiques anti-maghrébins sont puissants et l’Extrême Droite favorise la radicalisation des deux camps afin de prendre le pouvoir. C’est ce que décrit un militant arabe progressiste :
« La cohésion de la Fédération est fragile. Tu grattes un peu le progressisme, tu trouves en dessous l’intégrisme islamique le plus réactionnaire… et les intégristes ne souhaitent que l’isolationnisme, qui leur permettrait de couver au chaud leurs rêves de djihad mondial. (…) La Fédération est fragile ? Les relations Nord-Sud le sont plus encore. Et ton gouvernement de centre-gauche, alors ? » (p 177-178)
Cette analyse politique de la fin des années 80 résonne curieusement aujourdhui. Elle donne à SUKRAN un réel parfum de modernité.
UN THRILLER FUTURISTE ET CINEMATOGRAPHIQUE
J.-P. ANDREVON n’a pas son pareil pour écrire des récits enlevés au rythme haletant et au suspens constant. Son intrigue, marquée par les nombreux films qu’il évoque, avec dérision, au cours de sa narration, ne fléchit jamais.
Roland joue de la guitare sur les terrasses marseillaises, dans une misère réelle. A l’occasion d’une rixe homérique avec une bande de « chevaliers », il rencontre leur chef « Potemkine »
« Les chevaliers étaient les descendants des skin heads, version franchouille. Leur but avoué était de casser du bougnoul. (…) Leur surnom venait de leur armure à la con, un uniforme destiné à rappeler qu’ils formaient les troupes de Saint Georges, (…) le saint patron des paras. » (p 31)
Potemkine introduit Roland auprès du dirigeant de l’entreprise « Nord- Sud ». L’ancien chômeur, après quelques actions d’éclat, devient le chef de la Sécurité de cette firme électronique dont le but réel est de transformer des ouvriers arabes en zombis après « neurostirisation », c’est-à-dire greffe d’une télécommande branchée dans le cerveau. Ainsi appareillés, ces « morts vivants » répondent aux ordres et se livrent à de sanglants attentats, comme celui qui est fomenté à Tripoli lors du défilé de la Fédération panislamique.
Le héros refuse ce trafic et cette politique inspirée par les milieux d’extrême-droite. Il rejoint la résistance arabe mais choisit de rester infiltré au sein de l’entreprise pour faciliter les coups de main visant à la détruire.
On ne détaillera pas toutes les vicissitudes rencontrées par Roland lors de ses aventures, ni ses relations amoureuses. Le final retrouve la veine des récits d’horreur et leur guerre contre les zombis, il se clôture par un compte à rebours avant explosion nucléaire, digne d’un James Bond.
Tout y est. Le héros échappe à la mort et envisage même de reprendre sa guitare « pour recommencer à tasser la semelle devant la terrasse des c afés », car après tout cet avenir peu glorieux lui convient mieux que les fonctions de vigile ou de chef de la sécurité.
POUR CONCLURE
Thriller politique, cette œuvre mineure vaut surtout pour l’écho qu’elle propage jusqu’à nos jours, trente ans plus tard.
J.-P. ANDREVON, auteur engagé et star de la S.F. Française d’après 68, décrit avec prescience les arcanes de l’environnement géopolitique qui prévalent toujours.
A la lecture, on apprécie ce qui fait le charme de l’écriture, parfois désinvolte, de l’auteur. Ce style à la fois simple et imagé que l’on retrouve dans son recueil érudit et documenté : « Anthologie des dystopies, les mondes indésirables de la littérature et du cinéma » publié en 2020 aux Editions Vendémiaire.
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