ET TOUJOURS LES FORÊTS | Sandrine Collette

Publié le 9 septembre 2025

Dystopie naturaliste entre « Malevil » (R. Merle) et « La route » (C. McCarthy), le récit de Sandrine Collette est à la fois un guide de survie et un conte philosophique.
En résumé, comment un hameau reculé revit après la Catastrophe, loin de toute technologie, à l’écoute de la Nature et en harmonie avec les « instincts ».
La belle écriture de ce roman sombre propose une vision désespérée de notre avenir.

Édité en 2020 chez Jean-Claude Lattés, le roman est publié en Poche en 2021, sous le numéro 35 969.

 

LE CONTEXTE 

Le monde est confronté à la sixième extinction.
Celle provoquée par l’homme.

« Dès qu’il y avait eu des hommes, les vivants qui les entouraient avaient commencé à s’éteindre (…) Les hommes étaient intrinsèquement des meurtriers. Ils puaient la mort  » (p193).

La Catastrophe, dénommée aussi la Chose, fera tout disparaître.
Les rares survivants sont confrontés à un monde de cendres, d’obscurité, de froid. Un monde sans couleurs.
La survie s’obtient par l’utilisation des « restes d’avant » et, curieusement, sans recours aux technologies subsistantes, même primaires. Pas de vélo, peu d’outils, presque pas de livres  mais  des vêtements, des conserves, de l’épicerie.
Et puisqu’il faut survivre dans cet environnement lugubre, pourquoi ne pas fonder une famille?

L'ouvrage de référence est celui publié en Poche en 2021, sous le numéro 35 969

L’INTRIGUE

Au début, Corentin est abandonné par sa mère et confié à Augustine, son arrière grand-mère. Il grandit dans un village perdu au milieu des bois.
Une relation forte s’installe entre l’enfant et son aïeule. Cette dernière lui enseigne les choses de la nature et lui fait découvrir le site mystérieux des « Forêts ».
Corentin est bon élève, il est envoyé à la ville voisine pour se former, puis à la capitale pour devenir étudiant. Il rejoint des jeunes comme lui et intègre leur groupe. Il  « refait le monde » même si au fond de lui il se sent différent.
Il retourne de plus en plus rarement voir Augustine, qui vieillit.

Puis la Catastrophe survient.
Une chaleur intense brûle tout, les êtres, les bâtiments, la végétation,… Corentin et ses amis faisaient souvent la fête au fond des Catacombes, loin de la surface. Cela les sauve de l’anéantissement.
Certains sortent de l’abri et meurent instantanément, « foudroyés par une rafale inconnue, morts avant même d’avoir touché le sol  » (p71).
Les autres, dont Corentin, attendent.
Lorsque les provisions sont épuisées, ils sortent et constatent le désastre.
« Tout ce qui était vif était devenu cendres.
Tout ce qui existait était détruit.
Tout n’était que silhouettes noires et atrophiées et brûlées–les immeubles, les arbres, les voitures.
Les hommes. » ( page 80)

Les rescapés se séparent à la recherche de leurs proches. Corentin se retrouve seul et décide de partir en direction des « Forêts » et d’Augustine.
Il avance dans le gris des cendres, du ciel, seul son sang, lorsqu’il coule, lui rappelle ce qu’est la couleur.
La pluie est acide et dangereuse.
Le périple de Corentin est éprouvant même s’il recueille un jeune chiot aveugle sur son chemin.
Lorsqu’il arrive en vue des premiers arbres, ceux-ci sont calcinés et s’effondrent sous le poids de la neige qui tombe… en juillet!
Au fond du désespoir, Corentin aperçoit une lumière. Dans un hameau, une maison est encore occupée par un couple de personnes âgées. Il est recueilli, nourri, lavé.
Il peut repartir avec « Aveugle », le jeune chiot qu’il a adopté.
Enfin, il parvient aux « Forêts ». Les arbres sont « comme ceux qu’il avait croisés depuis son départ : noirs, nus, voûtés ou ouverts »( page 165 ).
Aucun oiseau mais le froid et l’humidité, comme partout.
Il retrouve le vallon de son enfance et sa maison, Augustine mutique mais vivante.
Et apparait Mathilde, son amour de jeunesse.
« Il n’y avait plus qu’elles. Deux uniques vivantes aux « Forêts ». ( page 171)
Corentin décide de réagir, de redevenir un « homme ».
C’est alors que Mathilde perd l’enfant qu’elle portait. Elle ne reprendra goût à la vie que très lentement.
En charge des deux femmes, Corentin fait de multiples trajets vers la ville voisine et ses 8000 âmes mortes. Il rapporte les provisions nécessaires, toujours présentes dans les magasins.
Corentin comprend peu à peu que les choses vont durer, que la violence s’installera. Malgré son état dépressif, il  constitue une importante réserve de bois pour chauffer la maison car le climat est froid.
La vie est pénible, Mathilde ne le regarde pas. Augustine vieillit toujours plus. Les « Forêts » sont mortes.
L’instinct de survie pousse Corentin à céder à son désir pour Mathilde. Il la force malgré ses refus et abuse régulièrement d’elle dès qu’elle est seule. Il se dégoûte mais ne peut cesser.
Mathilde tombe enceinte.
Les trois survivants attendent la venue de l’enfant. Corentin accumule les réserves et rapporte de la « Petite Ville » tout ce qui est utilisable.
Il espère toujours le renouveau, il scrute le ciel, le sol surtout, l’apparition d’un brin d’herbe, d’un insecte, d’un petit animal. Il observe aussi le ruisseau dans l’espoir d’apercevoir un poisson même minuscule. Mais rien ne trouble l’univers gris et noir, sans couleurs, qui règne partout.
Le printemps passe sans signe d’évolution. Corentin s’inquiète pour leur avenir quand les réserves accumulées pour tenir 2 ans 3 mois et 27 jours seront épuisées.
Puis Mathilde accouche, dans d’intenses souffrances, avec l’aide de Corentin sous la direction d’Augustine. Alors que tout semblait perdu, des jumeaux, un garçon et une fille, font leur entrée dans le monde alors qu’Augustine, épuisée, meurt, à bout de forces.

Le temps passe, les enfants grandissent et jouent. Ils rient… ce qui stupéfie Corentin.
Comme le chien boit l’eau de la rivière sans mourir, celle-ci est considérée comme potable.
Mais les provisions s’amenuisent, il en reste pour un an et 8 mois. Et une nouvelle bouche devra être nourrie car Mathilde est à nouveau enceinte.

Une forme de stabilité s’installe.
Les naissances se succèdent, quelques morts aussi. En définitive, la famille comporte 6 enfants. La végétation retrouve quelques forces, les pommes de terre plantées autrefois par Augustine germent à nouveau et se multiplient, apportant un aliment essentiel.
Même le chien s’accouple avec une louve et apporte ses chiots.

Le temps passe, la Catastrophe date de 18 ans, l’âge des deux aînés de la fratrie.
La famille s’installe dans un calme illusoire, bercé par un timide renouveau de la nature. Quelques « vivants » sont aperçus et disparaissent, jusqu’à ce qu’un groupe  révèle la vérité.
Des hordes sauvages, sanguinaires, cannibales parcourent le sud et l’est du pays. Ils tuent, violent, brûlent tout sur leur passage.
Mathilde et Corentin décident de partir vers l’ouest, eux aussi.
Au moment du départ, ils sont attaqués par une bande de fous furieux. Aidés par leurs nombreux chiens, le fusil, leur détermination, ils éliminent ou font fuir leurs assaillants. Dans la lutte, Mathilde est blessée mortellement.
Les six enfants,  les chiens indemnes et Corentin, désespéré, prennent la route vers l’Ouest.
« Et malgré le chagrin, et malgré la fatigue — ils allaient vers l’ouest et ils chantaient. » (page finale 378).

CONCLUSION

Le beau roman de Sandrine Collette n’est pas joyeux, il pose l’activité humaine comme source inévitable de catastrophe.
Après le grand Feu qui réduit tout en cendres,  survivre devient difficile.
Et puisque les villes sont dévastées, il ne reste plus que de rares maisons isolées où l’on peut tenter de reconstruire un semblant d’humanité.
Mais l’homme , sans contrôles, devient souvent un monstre sanguinaire.
Il reste alors la fuite vers cet Ouest mythique chanté par les optimistes qui croient malgré tout en l’avenir de l’homme.
Sandrine Collette porte sa vision désespérée jusqu’au bout de son récit . Elle y convoque le souvenir terrible de l’œuvre de Cormac McCarthy (La route).
Pourquoi la dystopie moderne, souvent post-apocalyptique, se conclut-elle toujours aussi mal ?
Les auteurs contemporains n’ont guère, semble-t-il, de raisons d’espérer… 

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