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LireJE NE ME LASSE PAS DE VIVRE | Jaroslav Melnik
Publié le 29 juin 2025
Roman de l’immortalité ou comment le transhumanisme transforme radicalement les structures de la société contemporaine. Quand on vit plus de 1000 ans dans de multiples corps devenus simples enveloppes charnelles pour un cerveau indestructible, que reste-t-il de la nature humaine ?
Jaroslav Melnik explore toutes les conséquences de cette révolution sociétale. Son roman prend parfois la forme d’un traité philosophique mais reste d’abord une dystopie puissante alors que les tentations d’utilisation de l’Intelligence Artificielle et du recours aux recherches médicales les plus avancées se généralisent.
Publié en 2022 en Lituanie, la traduction française est éditée en 2024 par Actes Sud.
LE CONTEXTE
Le récit s’ouvre en l’an 5870, 2000 ans après Le Grand Bond qui a signé une révolution scientifique et culturelle fondamentale. L’homme n’est plus dorénavant défini par son corps et ses organes mais uniquement par son cerveau.
Les humains changent de corps régulièrement dans les Centres de Renaissance où ils choisissent leur nouvelle apparence fournie par les « Korgs », créatures humaines sans intellect.
Ils peuvent ainsi dépasser les centaines d’années voire atteindre ou dépasser 1000 ans !
Bien sûr, les structures familiales explosent puisque la mère vit dans un corps plus jeune que le fils, que les époux ne vieillissent pas ensemble.
« La civilisation avait progressivement perdu les conceptions sur lesquelles elle reposait : famille, parenté, filiation, mort, interdiction d’inceste… » (p 24).
Le genre lui-même est variable puisque l’on peut choisir un corps d’un sexe différent du sien. Le héros proclame :
« J’avais voulu être femme, ressentir ce que c’était, recevoir un homme à l’intérieur de soi, féconder, porter un enfant, accoucher et allaiter » (p 26)
Père, mère, mari, femme, fils, fille peuvent donc au fil de centaines d’années changer de corps et, pourquoi pas, vivrent ensemble, souvent sans savoir ce qui les relie.
Très complexe, l’ETANEL (État Éternel Planétaire) est géré par une I.A. un milliard de fois plus puissante que le cerveau humain, le CERVART.
Le Cervart connait tout, contrôle tout, décide de tout.
Il n’y a plus d’État, ni d’administration, ni de Parlement.
La surveillance totale a supprimé toute délinquance. De plus, le Cervart a créé de multiples machines qui prennent en charge la production. Donc chez les « immortels », la sécurité est absolue, la totalité des besoins est assurée. Il n’y a pas d’exploitation puisque le travail est fourni par des robots.
Les individus sont munis de puces internes dès la première transplantation de leur cerveau. L’une est insérée pour identifier la personne au travers de ses multiples changements de corps, c’est l’INPER (Index Personnel), une autre est placée derrière l’oreille et remplace les smartphones. D’autres capteurs transmettent à l’ordinateur central les informations nécessaires sur l’état médical et psychologique du corps qui accueille le cerveau de l’ »immortel « .
L’INTRIGUE
Dio Kopereïk, le héros et narrateur rend compte de son passé millénaire. Il a déjà changé 9 fois d’enveloppe charnelle et on le voit choisir le corps d’une jeune femme. Puis, une génération plus tard (100 ans), il redevient homme.
Il songe à son père mort de sa belle mort et doute :
« Tout périt et meurt sous nos yeux, les fleurs, les papillons. La mort est partout. Nous sommes les seuls à ne pas mourir . Ce n’est pas normal » (page 39),
d’autant plus qu’il rencontre Kaya, une marginale qui vit dans une « Oasis de Vérité ». Ces lieux, présents partout sur la planète, regroupent les réfractaires qui refusent les transplantations de cerveau et donc l’immortalité.
Alors qu’il a plus de 1000 ans, il lui cache que son corps de 20 ans n’est pas le sien mais celui du 12em korg qu’il utilise.
Il partage cependant le dégoût de Kaya pour l’immortalité et s’interroge sur les menaces que le système fait planer sur la vie de ces dissidents qui refusent le « monde de somnambules » qu’est devenu l’Etanel.
Kaya a peur, elle est persuadée que les « immortels » ont engagé une guerre radicale contre les « mortels » et veulent supprimer ces derniers.
Dio et ses amis enquêtent et découvrent que c’est l’I.A. qui a pris, seule, la décision de détruire les Oasis de Vérité et tous leurs occupants.
Le Cervart, indépendant depuis plusieurs centaines d’années, considère que le bonheur des « immortels » passe par l’éradication de la mort et de ceux qui la choisissent.
Il a caché depuis toujours aux hommes que les korgs étaient des humains comme eux mais élevés comme des animaux dans des camps de concentration.
Secrètement, le Cervart fomente des attentats contre les Centres de transplantation afin que tous approuvent, sans mauvaise conscience, la suppression définitive des » mortels ».
Dio comprend très vite qu’il ne peut détruire le Cervart, définitivement invincible.
Il rejoint donc Kaya, vouée à une mort proche, pour un suicide commun.
Lorsque le cœur de sa compagne s’arrête, le héros s’ouvre les veines et meurt…
Mais à son grand désespoir, il se réveille dans un nouveau corps, le Cervart ne l’a pas autorisé à mourir. Il devra vivre éternellement, comme tous les » immortels ».
« Il ne nous reste qu’à vivre. Nous sommes las de vivre et on ne nous laisse pas mourir » (p 368).
Seule perspective positive, il semblerait que le cerveau ne puisse dépasser 5000 ans…
CONCLUSION
Écrivain et philosophe, Jaroslav Melnik est un spécialiste de la dystopie. Trois de ses œuvres figurent d’ailleurs sur le site.
Après avoir abordé les sociétés de contrôle (Espace lointain, 2008) et le statut de l’animal (Macha ou le IVe Reich, 2013), il traite ici de l’Intelligence Artificielle et de l’immortalité. Il le fait en philosophe et dissèque, longuement, les arguments avancés par ceux qui veulent survivre éternellement et par ceux qui n’oublient pas que seule la mort apporte son sens, sa beauté et sa richesse spirituelle à la vie humaine.
Plus didactique et moins romanesque que les autres opus de l’auteur, Je ne me lasse pas de vivre fait réfléchir et c’est l’essentiel pour une dystopie réussie.
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