Klara et le soleil | Kazuo ISHIGURO

D’abord roman destiné à la jeunesse, « Klara et le soleil » garde de la première ébauche, un sous-texte un peu naïf. Écrit du point de vue du robot, le roman est même parfois déroutant. K. ISHIGURO choisit en effet d’analyser la vision du monde perçue par une I.A. (Intelligence Artificielle). Véritable gageure, son récit d’apprentissage propose un décryptage du réel par un non-humain, ce qui ne favorise pas toujours l’identification du lecteur aux protagonistes de cette œuvre étrange.

Le propos reste cependant très sensible, l’auteur poursuivant sa quête de ce qui fait, en dernier ressort, la spécificité de la nature humaine. 

Toutefois, ce qui tranche ici avec la littérature dystopique plus classique, c’est le rapport tressé entre l’homme et la machine. Le robot n’est plus un danger, il accompagne, il éduque, il comprend, il aime le genre humain.

LE CONTEXTE : le monde réel vu par une I.A.

Dans un monde futur, aux contours peu précisés par l’auteur, il est courant d’offrir aux enfants, un ou une A.A (Ami.e Artificiel.le). Ces robots, à l’apparence humaine et aux pouvoirs cognitifs extrêmement sophistiqués, constituent alors des compagnons de jeu, des éducateurs, des confidents, parfois des souffre-douleurs. Les parents acquièrent ces « jouets » d’un nouveau type comme ils le font aujourd’hui pour des animaux de compagnie, dans des magasins dédiés. 

Pour rendre plus réaliste son propos sur la place et le rôle des robots dans la société du futur, ISHIGURO choisit de faire de l’héroïne artificielle, Klara, la narratrice. Le lecteur est ainsi confronté à la perception de la réalité par un robot, avec son sens propre de l’espace, de la lumière, sa vision fragmentée et surtout sa compréhension « mécaniciste » de la psychologie humaine. 

Tout le talent de l’auteur réside en ce subtile décalage, entre approche artificielle mais objective et vécu humain riche mais parfois faussé.

Edition de référence est celle des éditions Gallimard de 2021 (collection « Du Monde Entier »).

Le robot possède aussi ses manques. Comme il se nourrit des rayons solaires, il fera du Soleil une véritable divinité. Il l’implorera et lui adressera ses prières, attendra ses miracles mais gardera sa foi.

L’INTRIGUE : Klara et Josie, le gentil robot et la jeune fille malade

Le roman se déroule sur six phases.

Tout commence dans un magasin et sa vitrine. Klara, narratrice et cœur du récit, attend en compagnie d’autres robots-jouets, l’enfant qui « l’adoptera ». 

Très empathique et remarquablement curieuse, Klara fait la rencontre de Josie, jeune fille de 14 ans et demi qui lui semble intéressée par ce qu’elle offre. Elle l’attend longuement, et elle est enfin achetée par la mère de Josie. Elle sera l’Amie Artificielle de l’adolescente. Elle ne voulait de toute façon pas d’autre « compagne », même si cette dernière lui révèle qu’elle est malade. Klara a d’ailleurs tout fait pour refuser d’autres acheteurs potentiel, en contradiction avec la règle :

« C’est le client qui doit choisir son AA, jamais l’inverse. » (p 52)

Klara s’installe au domicile de sa « propriétaire », elle vit avec la mère de Josie et la gouvernante. Elle fait connaissance de Rick, l’ami cher de Josie. Elle apprend les subtilités de la vie sociale. 

Josie tombe malade, Rick vient la voir chaque jour, Klara découvre les rapports amoureux.

Fidèle à son engagement, la AA recherche ce qui pourrait sauver la jeune fille. Dans la mesure où ce qui est essentiel à la vie du robot est de nature solaire, celui-ci considère très logiquement que les rayons du soleil sont susceptibles d’apporter le « nutriment spécial » dont a besoin Josie. Et Klara passe dans ce but, un contrat avec le soleil, l’astre divin. Elle s’engage à détruire une machine qui pollue les villes (et qu’elle a aperçue à l’œuvre depuis la vitrine où elle était en vente) et le soleil sauvera Josie. 

Klara lui adresse d’ailleurs sa prière :

« Je vous en prie, faites que Josie aille mieux. » (p 210)

Dans un nouveau chapitre, Josie, qui s’est un peu remise, retrouve son père dans la ville voisine. Klara accompagne la famille, approche les difficiles relations qui unissent, malgré tout, les parents désunis.

Klara découvre aussi et surtout le projet fou de la mère de Josie. 

Celle-ci conduit sa fille chez un peintre-sculpteur pour qu’il en élabore une réplique physique parfaite. En fait, la mère, dans la crainte de voir disparaître sa fille, souhaite que Klara la remplace, la « continue ». 

Le robot, lorsqu’il aura saisi toutes les finesses de la personnalité de Josie prendra sa place dans l’enveloppe créée et perdra la sienne. Et Klara deviendra Josie,

« Donc vous voyez ce qu’on attend de vous, Klara (…). Vous n’êtes pas simplement tenue d’imiter le comportement extérieur de Josie. On vous demande de la continuer. » (p 264)

Pour le concepteur du projet, il n’y a rien d’inatteignable au fond de l’homme, rien d’unique qu’il soit impossible de transférer dans une machine intelligente. En d’autres termes, 

« Rien à l’intérieur de Josie que les Klara de ce monde ne soit capable de continuer. La seconde Josie ne sera pas une copie. » (p 265)

Et sa mère pourra donc aimer cette seconde version, certes artificielle, de sa fille comme elle aimait la première. 

Klara ne peut se dérober et devra satisfaire aux exigences de la mère de Josie même si elle préfère sauver la jeune fille, consciente, elle le robot, de la difficulté de se substituer efficacement à sa personnalité.

Elle persiste à vouloir obtenir l’aide du soleil. Elle remplit le contrat, se rend là où l’astre se couche et le supplie de guérir Josie. 

Puis, elle expose la jeune fille, à nouveau très malade, aux rayons du soleil.

Et cela se révèle extraordinairement efficace.

Josie est guérie, elle reprend ses études et prépare son entrée à l’Université. 

Le rôle de Klara s’achève. Elle rejoint un « cagibi », comme un jouet délaissé. Lorsque Josie quitte la maison, le robot est stocké dans une cour d’entrepôt où il médite et réunit ses souvenirs.

Klara est satisfaite, elle a sauvé (du moins le croit-elle), sa jeune protégée, elle l’a guidée vers l’âge adulte. Surtout, elle n’a pas été obligée de la « »continuer », c’est-à-dire de prendre sa place. Elle a compris qu’elle n’aurait pas pu cerner vraiment son être car l’important, l’ineffable,

« c’est ce qu’il y a dans le cœur de ceux qui l’aimaient » (p 382)

Klara peut s’éteindre progressivement, elle a rempli sa mission comme toutes les bonnes préceptrices d’autrefois.

CONCLUSION

Chez K. ISHIGURO le robot devient la nouvelle « nounou » des enfants des hommes. Il peut même, si nécessaire et dans les cas extrêmes, prendre la place de l’enfant disparu. Les limites entre l’humain et le non-humain deviennent ténues.

On est bien loin de l’Intelligence Artificielle qui veut dominer l’homme, le contrôler, voire l’asservir.

Mais le roman, écrit à « hauteur de robot » déroute souvent car l’auteur ne donne pas toutes les clés nécessaires à la compréhension du contexte. Aucune perception extérieure à l’ I.A ne vient préciser les contours de la réalité. Le lecteur est soumis à l’appréhension artificielle du monde, il est en empathie avec le robot et le découvre souvent plus humain que le genre humain. 

L’arrière plan transhumaniste est clairement revendiqué. Les capacités intellectuelles des enfants des classes supérieures sont « augmentées » par la génétique. On dit alors qu’ils sont « relevés ». Quant aux robots, ils semblent pouvoir se substituer à l’homme et annoncer l’avènement d’une nouvelle humanité, alliant l’homme et la machine, le progrès scientifique infini et l’immortalité.

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