LES HOMMES PROTEGES | Robert MERLE

Les citations sont tirées de cette édition

Grand auteur de littérature populaire, Robert MERLE a écrit ce roman dans les années 1970. Roman d’anticipation, roman d’aventures, roman social, le récit foisonne d’intrigues et de rebondissements à la fois passionnants et rocambolesques. Mais le sujet, le renversement de la société et la prise de pouvoir par les femmes en fait une dystopie d’autant plus remarquable qu’écrite par un auteur masculin. On peut estimer que R. MERLE est en quelques sorte précurseur de récits modernes (cf «Le pouvoir» de N. ALDERMAN) qui traitent de ce même sujet, mais sont écrits par des femmes.

 

L’INTRIGUE

L’action se déroule en Amérique du Nord. Elle débute dans le bureau ovale de la présidence où le héros/narrateur, Ralph Martinelli, célèbre neurologue, a été convoqué. La raison : il a observé, le premier, les symptômes du développement récent, mais apparemment brutal et rapide, d’une  épidémie mortelle, « l’encéphalite 16 », qui décime les hommes. Mais… seulement les hommes et les hommes dans la force de l’âge, les adolescents et les vieillards n’étant pas touchés.

A la faveur de la diffusion de la maladie, un bouleversement de la société va s’opérer où les hommes appelés à disparaître vont voir leur pouvoir diminuer au profit des femmes. Cela commence par le président lui-même qui meurt et est remplacé par sa vice-présidente, Sarah Bedford, représentante de la branche dure du Mouvement de Libération des Femmes (le LIB).

Celle-ci organise, avec une de ses alliées, puissante propriétaire d’une firme pharmaceutique, la mise en place d’un laboratoire, très fermé, de recherche du vaccin contre l’encéphalite 16. La direction en est confiée à Ralph qui découvre, dès son arrivée, un univers particulier :

« Les laboratoires et les logements des chercheurs sont des baraques de bois, élevées autour du château dans ce qui a dû être un parc. Mais pour faire place aux constructions en bois, on a coupé de nombreux arbres et l’ensemble est ceint d’une clôture élevée de barbelés » (p 42/43)

Le camp, à l’organisation stricte, est surveillé par des « miliciennes » dont le poste de garde comporte un mirador «défendu par une mitrailleuse lourde qui peut faire un tour complet autour de son axe » (p 43)

« On est réveillé à sept heures par une sirène. A huit heures, on est   censé être chacun dans son laboratoire. Lunch à treize heures précises. Dîner à sept heures. Couvre-feu à dix heures. » (p 46)

Pour échapper à l’épidémie certains hommes militent pour la mise en place d’une castration généralisée.Ce sont les « ablationnistes » qui, sinistre référence, portent un macaron vert avec un A. Il s’opposent aux, « antis », qui décident de rester « entiers » et que l’on nomme les P.M. (protected man, d’où le titre du roman). Ceux-ci sont mal vus par tous, les femmes qui les suspectent de misogynie et les « A » qui les jalousent. Ces différents groupes se retrouvent à l’intérieur du laboratoire que dirige Ralph, ce qui crée des tensions mais aussi des rapprochements, même si ces derniers ne peuvent être admis par les nouveaux codes relationnels. Entre le héros et l’une des laborantine, Burage, une idylle secrète se noue.

A l’extérieur, la nouvelle présidente mène une politique autoritaire d’endoctrinement anti-mâles, instaurant des cours de sexualité et d’histoire de l’oppression masculine des femmes, ce qui n’est pas sans poser de graves problèmes. Certaines jeunes filles/femmes, en pleine frustration, kidnappent, violent, séquestrent des hommes qui se voient contraints de fuir dans la campagne en hordes (les stalags) précaires et menacées. On assiste à des scènes qui renvoient à la situation inversée de la prostitution et du proxénétisme classiques et ce renversement va jusqu’à la caricature : une pègre féminine s’installe qui pourchasse et prostitue les hommes (encore « entiers ») pour la clientèle des riches veuves…

La mise au point du vaccin patine, en raison de dissensions à l’intérieur du laboratoire. L’épidémie s’étend et de plus en plus d’hommes meurent ce qui conduit le régime à lancer un vaste plan de recueil de sperme auprès des PM, ce qui ne se fait pas sans réticence,

« Nous y sommes, (…) Nous voilà de nouveau dans cette vieille merde eugénique ! Comme du temps des nazis ! (…) La castration et la sélection sont le recto et le verso de l’eugénisme. » (p 172/173)

Devant l’urgence de la situation, les forces s’unissent à l’intérieur du laboratoire et le vaccin voit le jour mais son développement est menacé par la présidente qui souhaite l’extermination masculine.

Dans ce contexte sociétal tendu, un réseau secret, le « Nous », constitué uniquement de femmes, dont Burage et d’autres femmes du laboratoire, s’est organisé avec pour but le renversement du régime et la mise en place d’un nouveau pouvoir géré par le « Nous » et donc toujours dominé par les femmes, mais sur un mode relationnel Femmes/Hommes plus « apaisé ».

Après de multiples péripéties,  le héros est exfiltré du camp et retrouve sa liberté, mais le monde a changé. Il faut maintenant gérer « la reconstruction démographique »,

« L’homme réduit à son rôle biologique de reproducteur, avait disparu en tant que père : son pouvoir social était discrètement liquidé. (…) Seules les mères avaient une existence sociale définie. Elles pouvaient vivre seules, ou avec un homme, peu importait. Elles n’en étaient pas moins,   juridiquement, des célibataires puisque la tutelle et la dépendance économique d’un mari avait disparu. » (p 422)

Et, au-delà du statut matrimonial, de par la disparition des hommes, c’est tout l’appareil productif qui se retrouve entre les mains des femmes qui deviennent chefs d’entreprise, propriétaires, actionnaires majoritaires, etc.

Le roman se termine sur une note humoristique. Le célèbre neurologue auquel incombe plusieurs paternités se voit maintenant davantage apprécié pour son physique séduisant et ses qualités de procréateur, ce qui, retournement cocasse, l’oblige à se faire protéger mais cette fois, des femmes qui risquent de l’enlever…


En conclusion, il faut relever que dès les années 70 et la montée en puissance des prises de position féministes dans le monde occidental, un auteur peu connu pour traiter ce type de sujet, a su illustrer cette problématique sous une forme romanesque. Le résultat, s’il peut paraître parfois féministe, reste teinté de misogynie. En cela, l’auteur, « mâle blanc dominant », exprime bien la vision du monde de son époque.

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