MAGIQUE AUJOURD'HUI | Isabelle JARRY

Réflexion sur les relations qu’entretient l’homme avec ses créatures artificielles, le roman de I. JARRY ne renouvelle pas le genre.

Loin du Golem, de Frankenstein ou encore des récits de la science-fiction classique dont le maître incontesté reste Isaac ASIMOV, MAGIQUE AUJOURD’HUI retrace à la fois le cheminement affectif d’un jeune intellectuel puni d’avoir trop aimé son ami androïde et les errances du petit robot perdu dans la ville.

Les deux expériences ne se rencontrent pas et la fable n’a pas vraiment de morale. Le lecteur saisit mal le message de l’auteure, très ambivalente, semble-t-il, face aux développements considérables de la robotique.

Soutient-elle les réticences du milieu du XXIe siècle face aux Intelligences Artificielles ou, au contraire, pense-t-elle qu’après tout il y a « peu de différence entre une machine et un être humain »? On ne le saura pas réellement. En revanche, on apprendra beaucoup de ce qui constitue la formation de base d’Isabelle JARRY, la botanique et la biologie …

LE CONTEXTE : l’addiction aux machines dans un monde hyper connecté

Dans un futur proche, la robotique a fait tant de progrès que la Société a créé une police et une médecine cybernétiques chargées de lutter contre les addictions. Les victimes, jugées trop attachées et soumises aux robots et autres engins connectés sont contraintes de suivre des cures de déconnexion, de sevrage, dans des centres spécialisés.

Les citations sont tirées de l'édition Collection blanche de Gallimard 2015.

En fait, deux conceptions s’affrontent :
celle qui rappelle qu’un robot reste une machine, qu’il n’a pas de sentiments et que l’homme n’est pas un démiurge qui peut donner vie à un artefact,
celle qui considère que les hommes sont aussi des signaux électriques, de la chimie pure et que rien ne les distingue profondément de la machine.
Le roman décrit, tour à tour, la quête de deux héros, un homme et une machine. On se demande qui est le plus humain et si, comme le suggère la fin du récit, les deux ne forment pas, en fin de compte, une seule entité, version augmentée de la personnalité humaine du futur.

L’INTRIGUE : Tim et son androïde adoré

Tim, jeune chercheur en sciences humaines, développe un amour immodéré pour son assistant personnel, Today.

« Today était un androïde de type 10XF, petit et maniable, un modèle léger de la taille d’un enfant de douze ans, adroit et performant. » (p 18)

Il en néglige sa compagne et ne se sépare jamais de son robot auquel il enseigne l’essentiel de la vie dans le but avoué d’en faire une « machine pensante ».

« Les robots de cette catégorie, dont le principe d’une grande plasticité permettait au programme initial d’évoluer en fonction de l’environnement et des expériences et connaissances acquises, se transformaient en véritables machines savantes. » (p 21)

Cet attachement, jugé excessif, conduit Tim en cure de déconnexion sans qu’il puisse prévenir Today de la cause de son absence. Or, comme il a trafiqué le « niveau de dépendance » de son robot pour lui assurer une liberté presque totale, il est très inquiet sur ce que va devenir son ami androïde.
Le roman décrit la cure, les interrogations de Tim, sa rencontre avec une jeune intoxiquée…
Très vite, le jeune homme choisit de poursuivre sa mise en quarantaine (qui ne dure en réalité qu’une semaine) chez une référente qui vit dans une maisonnette isolée au sein d’un village situé au centre d’une « zone blanche » non connectée. Tim se livre avec ardeur au jardinage et découvre les paysages, la flore, les oiseaux, la forêt, la Nature en un mot.
Le récit devient bucolique et se perd quelque peu dans l’évocation des affres et tourments d’un homme jeune à la recherche d’un équilibre. Ce dernier fait l’expérience de la confrontation avec des êtres plus âgés, se croit malade, songe à son rapport avec les androïdes inscrit dans une vision résolument progressiste et évolutionniste.
Tim entame une longue marche au travers de la forêt et s’éloigne seul et libre :

« Il ne savait pas où il allait, mais il s’éloignait, il allait à toutes jambes, ignorant la fatigue et la soif, plongeant dans la nuit épaisse qui enserrait la forêt de sa noirceur profonde. » (p 310)

Le roman l’abandonne alors à son sort, sans que l’on puisse dire si cela constitue une rédemption ou une révélation.

En contrepoint, un chapitre sur deux ou trois est consacré à Today, à son parcours dans la ville et à ses rencontres.
Le petit robot fait l’expérience de la vie. Il cherche Tim, s’éloigne de sa maison et de sa base de rechargement, ce qui lui occasionne un certain nombre de pannes de batterie. Il prend le métro et fait des rencontres étonnantes, en particulier celle de Mirène, ancienne cantatrice tombée dans la misère. Celle-ci l’enlève et s’efforce de lui trouver une utilisation qui lui soit profitable à elle. Today vide des cageots sur un marché, accompagne Mirène au piano, fait la conversation, risque d’être vendu à un brocanteur, puis en définitive se sauve. Il retrouve enfin sa maison et surtout sa source d’énergie.

En scène finale, Today est entendu par un jury devant lequel il présente les travaux de Tim, puisque ce dernier est indisponible. Le robot disserte avec intelligence et érudition sur le thème de recherche de son propriétaire et ami (l’existence et les réflexions du japonais qui a choisi de survivre dans la zone irradiée de Fukushima). Le jury, séduit, s’interroge sur ce qui revient à Tim et sur ce qu’apporte Today dans le projet présenté. L’androïde est définitivement une personne, il dit d’ailleurs « nous » lorsqu’il détaille la suite des travaux envisagés.


CONCLUSION
En robotique, les mêmes questions demeurent : l’homme est-il soumis à la machine ? Devient-il son obligé voire son esclave ? Assiste-t-on à l’émergence d’une conscience chez les androïdes ? Peut-on vivre ensemble et concevoir un binôme, l’homme sensible aidé par son accompagnant efficace et sophistiqué ?
Cette dernière hypothèse pourrait être le message sous-jacent du roman d’Isabelle JARRY. En d’autres termes, il faut admettre l’apport des machines dans une version augmentée de l’humanité.
Toutefois, pour trancher cette controverse, le roman aurait dû être plus ambitieux et aborder avec profondeur les thèmes et non survoler l’ensemble des questions dans une prose certes belle et agréable, mais dans une ambiance légère qui n’évite pas la mièvrerie.
La vraie originalité du récit pourrait être en fait son parti pris utopique. Pour une fois le règne de la machine n’annonce pas des lendemains d’oppression mais une cohabitation fructueuse.

 

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