LA FOLLE SEMENCE | Anthony Burgess

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La version de référence utilisée est celle des Editions Robert Laffont, 1973

Dans les années 60, la croissance de la population faisait peur et les solutions envisagées pour la maîtriser étaient nombreuses.

Anthony Burgess, toujours sarcastique, apporte sa vision, très personnelle, de ce problème.
Coercition bien sûr, dictature évidemment mais aussi inversion des normes car « qui dit Sapiens, dit Homo« (p 13).
La charge, burlesque et parfois peu subtile, serait sans doute taxée aujourd’hui d’homophobie, mais l’humour de l’auteur, son approche décalée et multiple emportent ,in  fine, l’adhésion.
D’autant plus que cette solution n’est qu’une parmi d’autres. Pourquoi ne pas interdire la procréation, pourquoi ne pas favoriser le cannibalisme ?
Pour équilibrer niveau de population et  disponibilité alimentaire, tout est bon.
Et si l’on n’agit pas sur les naissances, il faut parallèlement accroître le nombre des décès.
La guerre jouera alors inévitablement son rôle de variable d’ajustement et permettra de choisir qui éliminer.
Le propos de Anthony Burgess, sous ses atours drolatiques, est puissant et désespéré. L’auteur de « L’Orange mécanique » poursuit  ainsi avec « La folle semence » son œuvre remarquable et particulière.

Édité en 1962, le roman a été traduit et publié en France, en 1973, par les Éditions Robert Laffont (collection Pavillons).
Cette version sert ici de référence.

LE CONTEXTE

Dans la société du futur, la préoccupation première est  » l’équilibre entre population globale et possibilités vivrières globales  » (p23). La solution la plus évidente revient à restreindre les naissances. Le pouvoir en place opte pour ce schéma et limite la procréation nécessaire aux classes prolétaires avec un mot d’ordre : une seule parturition par famille. En écho sans doute à la politique de l’enfant unique en Chine… En complément, l’homosexualité est encouragée et devient la norme sociale.
L’obsession de la population est de se nourrir. L’alimentation naturelle a disparu au profit de composés synthétiques comme dans le roman de H. Harrison, « Soleil vert« . Les récoltes agricoles, victimes du climat et de maladies inconnues, sont faibles comme le sont les produits de l’élevage
Pour mener les politiques qu’il considère comme indispensables, le Pouvoir exerce une autorité réelle sur les individus. Mais comme l’explicite Anthony Burgess, il fait se succéder des phases de libéralisme et des retours à la contrainte . Les théories peu académiques de l’auteur parcourent le roman et justifient d’étonnants revirements. Le laisser-aller grotesque et paillard des  » Fêtes de la copulation » succède ainsi à des périodes d’abstinence et de répression féroce.
A. Burgess ne renonce à rien et convoque même le cannibalisme comme remède ultime à la faim.

Enfin, selon le schéma de périodisation explicité par l’auteur, lorsque une nouvelle phase s’ouvre et rétablit la procréation (et que le Ministère de l’Infertilité devient celui de la Fertilité), il faut bien trouver une autre solution.
C’est alors que la guerre, même fantasmée, même rejouée selon les codes des affrontements anciens, fournira le moyen d’équilibrer les grandes données de la vie sur Terre, donc de réduire la population à hauteur des ressources disponibles.
Le rôle supérieur de l’ALPG (Autorité pour la Limitation de la Population sur le Globe) est ainsi satisfait.

L’INTRIGUE

L’intrigue s’articule autour de 5 chapitres et d’un épilogue. Elle met en scène un couple du Grand Londres, Béatrice -Joanna Foxe et son mari, Tristram. Ces deux héros emblématiques résument à eux seuls les maux d’une société en proie à la surpopulation et à la faim.

Première partie
Le couple Foxe perd son enfant, immédiatement transformé en anhydride de phosphore pour lutter contre l’épuisement des sols. La mère est éplorée.
Le mari n’obtient pas sa promotion car il y a trop d’enfants dans sa famille (il a frère et sœur).
Béatrice-Joanna couche avec Derek, son beau-frère et faux homo, qui occupe un poste important dans le gouvernement. Elle néglige ses pratiques contraceptives.
Le Pouvoir change d’attitude et passe en phase répressive. Il crée une Police de la Population dont le haut-commissaire est Derek, « frère, traître et amant ».

Deuxième partie
Le climat social n’est plus le même et relève de la dictature.
Les rations alimentaires diminuent et la faim règne. La poursuite des femmes enceintes est brutale et acharnée. Dans ce contexte, Béatrice- Joanna découvre qu’elle attend un enfant de Derek. Tristram veut qu’elle avorte.
Il est contacté par un agent de la Police de la Population qui, par vengeance lui apprend que Derek est l’amant de sa femme. Alors qu’il injurie celle-ci au pied de leur immeuble, il est pris dans une manifestation ouvrière et embarqué par les forces de l’ordre.
Béatrice-Joanna décide de fuir chez sa sœur, à l’autre bout du pays.

Troisième partie
Le gouvernement infléchit ses conceptions. Il rétablit la religion.
Pour lutter contre la malnutrition grandissante, on assiste à une vague de cannibalisme !
Béatrice-Joanna donne naissance à des jumeaux.
Tristram s’évade. Sa femme est enlevée par la Police de la Population, pour confondre Derek, semble-t-il.

Quatrième partie
L’ambiance politique évolue vers une liberté totale. La copulation devient générale car « Dieu est amour! », l’anthropophagie aussi.
Les scènes burlesques et drolatiques se succèdent et font de la veine romanesque de Anthony Burgess une exception qui a choqué lors de la parution du roman.
Tristram traverse le pays pour rejoindre sa femme. Lorsqu’il y parvient, il rencontre son beau-frère qui lui annonce qu’elle a été enlevée.
Il est enrôlé de force dans l’armée.

Cinquième partie
Béatrice-Johanna et ses jumeaux vivent dorénavant avec Derek, promu Secrétaire d’État à la Fertilité mais elle regrette Tristram qu’elle recherche sans succès.
Celui-ci est sergent dans l’armée. Il est envoyé au front avec sa division pour affronter un ennemi qu’il ne connaît pas. Des pages hallucinantes font revivre les affrontements des guerres passées: tranchées, artillerie, camaraderie…
Seul Tristram comprend que tout est faux et que les simulacres de combat, à balles réelles toutefois, ne servent qu’à éliminer le surplus de population .
Unique survivant, il échappe au carnage.

Épilogue
Après un long périple ( la zone de combat se situe en Irlande !), Tristram parvient à Londres .
Il obtient les explications attendues auprès des responsables de l’armée:
« Quel autre moyen y aurait-il de freiner le taux d’accroissement de la population ?(…) tout le monde a le droit de naître. Mais de même, chacun est bien forcé de mourir tôt ou tard.(…) l’histoire semble prouver qu’il n’est meilleure mort que celle du soldat.(…) Le Ministère de la Guerre a un petit point commun avec la prostitution : il purge la collectivité.(…) Tant qu’il y aura une armée, pas question d’Etat policier.(…) Nous avons aujourd’hui un État libre.(…) Une demeure propre, pleine de gens heureux . Mais toute demeure doit naturellement avoir son tout-à-l’égout. Et le tout-à-l’égout, c’est nous. » (pages 350- 351).
Tristram est démobilisé. Il retrouve son emploi et peut se rapprocher de son épouse.

CONCLUSION

Anthony Burgess a surpris à l’époque. Son style inventif et dérangeant, sa dérision toute britannique, ont choqué.
Aujourd’hui, il est entré au panthéon des grands auteurs et ses fresques dystopiques font référence.
On retrouve d’ailleurs de nombreux éléments de son imaginaire romanesque chez les auteurs qui l’ont suivi.
Son propos sur la croissance de la population devrait parler aux hérauts de la pensée écologique. Cependant, curieusement, autant les ravages de l’activité humaine sont dénoncés, autant sont ignorées les conséquences d’un peuplement grandissant du globe.
« La folle semence », à ce titre, fait figure de cri blasphématoire venu d’un passé révolu.
Cela n’en reste pas moins une œuvre exceptionnelle, décalée et jubilatoire.

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