L'ILE AUX OISEAUX DE FER | André DHÔTEL

1/5

Courte fable fantastique, ce roman utilise une écriture classique, voire surannée, qui tranche avec les romans du genre dystopique.

Toutefois, dès 1956, André DHÔTEL désigne les problèmes induits par l’automatisation et le progrès technique. Il leur oppose, en vrai poète, une vision onirique rafraîchissante.

Les citations de la présente note proviennent de l’édition la plus récente (Les Cahiers Rouges, Grasset, 2002).

L’ARGUMENT

Le jeune héros, Julien Grainebis, quitte, par ennui, sa famille, son village, son métier et rejoint Le Havre où il s’embarque sur un navire de commerce avec un ami de rencontre.

Ils occupent tous deux un emploi de stewart. Mais autant Julien apprécie la mer et la vie à bord, autant son compagnon les exècre et lui en veut de s’en satisfaire. Il en vient même à précipiter Julien hors du paquebot, à proximité d’une île mystérieuse. Cette île constitue le sujet du roman.

Les citations sont tirées de cette édition.

LE CONTEXTE

Perdu en mer, Julien est guidé par des oiseaux de fer et recueilli par une barque totalement automatisée. L’île lui offre un spectacle étonnant, tout est prévu, réglé, ordonné. Les machines règnent.

L’accueil est assuré par une jeune fille, Irène, qui retient son attention.

Il est ausculté, étudié et destiné à une fonction particulière selon les caractéristiques de sa personnalité ainsi définie :

« Incapacité à la pensée abstraite. Primarité des impressions. Pensée en îlots. Dérèglement romanesque. » (p 36)

En conséquence, il devient : « Sujet d’études. Liberté surveillée. Horlogerie » (p 37)

On le prévient, il doit se soumettre aux lois de l’Île, sous peine d’exil en montagne où il mourra de faim. Il ne peut donc quitter le territoire.

Pour le surveiller, un robot, Monsieur Z, lui est assigné. Cette machine, bienveillante, l’accompagnera comme serviteur, majordome, guide mais aussi « mouchard », bien entendu.

Julien visite la Cité, découvre le restaurant, et la chaise qui lui est affectée (n° 5027, selon son matricule), il fait connaissance de ses voisins de table.

Dans cette société, les usines sont automatisées, les hommes sont destinés aux taches artisanales. Julien est « apprenti horloger ». Il va de son établi à sa chambre-cellule.

Il s’installe dans sa nouvelle vie, au sein d’un phalanstère totalement contrôlé par les robots et surveillé par les oiseaux de fer, gendarmes mécaniques terriblement efficaces.

Un ordre familial strict est instauré :

« – Ceux qui sont mariés se retrouvent le soir et aux jours fériés (…)

Ceux qui ne sont pas mariés ?

Ils attendent d’être désignés » (p 44)

Selon les principes eugénistes, les couples sont formés après examens psychologiques et physiologiques.

Il est interdit de parler des dieux, de poser des questions, de lire des livres ou des journaux. On parle de la pluie et du beau temps, du ciel et des nuages, de la production agricole et l’on se réfère aux minces fascicules distribués chaque jour, seule information disponible.

Dans ce monde digne de HUXLEY et de son « meilleur des mondes »,

« les voix de ces gens avaient une douce résonance et révélaient une paix et un bonheur inconnus » (p 44).

L’Île est partagée entre bâtiments, plages, ateliers selon un ordre absolu.

L’au-delà est représenté par la Montagne, avec une végétation sauvage le long de flancs abrupts. On retrouve,comme toujours, l’opposition entre la cité sous contrôle et « l’ailleurs » libre mais dangereux. Ceux qui s’éloignent de la civilisation et s’engagent dans « le chemin caillouteux » sont chassés par les oiseaux de fer et éliminés, comme tous les déviants des mondes dystopiques.

Ce sont les robots qui gouvernent et,

        « Il n’y a rien de mieux que leur gouvernement. Nous l’avons disposé nous-mêmes et l’exécution en est rigoureuse. Nous ne pouvons rien contre eux. Ils disposent des oiseaux. » (p 66)

Construites par les « grands mécaniciens », les machines ont échappé au contrôle des hommes, comme sa créature avait échappé au docteur Frankenstein.

 

L’INTRIGUE

Cette dénonciation limpide de la technique et de l’artificialisation du monde prend la forme classique de la révolte d’un couple de héros.

Julien, « qui veut se souvenir des ennuis et de la beauté d’autrefois », est sauvé par Irène. Sans malice, lors d’un repas, il conte une histoire simple d’amour entre deux jeunes gens, sans conclure toutefois son récit, fin qu’il ne connaît d’ailleurs pas.

Les interrogations sur les suites possibles de ce récit perturbent, à la grande surprise de Julien, les habitants et encore plus les intelligences artificielles qui régissent leur vie. Les machines « questionnent et mettent à l’épreuve » les réponses des hommes pour faire leurs choix et dicter leurs ordres. Mais sans solution claire et définitive, sans conclusion simple à la petite histoire rapportée, les ordinateurs se grippent, se bloquent et exigent LA réponse adéquate.

Car l’ingénieur en chef le concède :

« Si nous avouons que nous sommes débordés, le gouvernement des robots se contentera de nous exécuter tous. » (p 93)

Mais comment définir, pour des machines, l’amour, la beauté, le destin ? Comment répondre aux « interrogatoires sur la métaphysique » ?

L’auteur se fait ironique : que d’histoires pour une petite histoire ! Les intelligences artificielles ne sont guère intelligentes.

L’intrigue peut se conclure. Julien, victime expiatoire, est menacé de mort par les résidents qui craignent pour leur vie et qui souhaitent que rien ne change. Sauvé par Irène une fois de plus, Julien fuit avec elle dans une barque construite par le dernier pêcheur de l’île. Malgré la tempête, ils s’éloignent en mer, échappent aux oiseaux qui, désorientés, se perdent dans des voyages lointains.

Revenus en France, dans le village de Julien, les amoureux se marient et font souche. Deux anciens habitants de l’Île, les voisins de table de Julien, les retrouvent et leur annoncent que les machines sont devenues folles, que les services quotidiens ne sont plus assurés, que les oiseaux ont définitivement disparu et donc que la Cité est progressivement abandonnée.

 

CONCLUSION

Ce conte moral est peut-être naïvement optimiste. Face aux implacables machines, qui ont échappé au contrôle des hommes, il suffit parfois d’une simple fable pour poser les vraies questions, celles qu’aucun robot ne peut résoudre seul.

C’est en effet, en laissant une petite histoire sans conclusion, que le héros, sans le vouloir, bloquera la logique des circuits des Intelligences Artificielles.

La parabole est claire : il faut vaincre l’ennui « des prisons dorées » par l’amour, la beauté et la poésie.

Extérieur à l’univers des littératures d’anticipation, André DHÔTEL livre ici une œuvre courte mais puissante qui a toute sa place dans la dystopie.

L’AUTEUR

Né en 1900 à Attigny dans les Ardennes, André DHÔTEL est un écrivain reconnu, Prix Femina 1955 et Grand Prix de l’Académie Française en 1974 pour l’ensemble de son œuvre (50 romans, 2 recueils de poèmes, un essai remarqué sur Rimbaud). Il décède en 1991.

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