VIENDRA LE TEMPS DU FEU | Wendy Delorme

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Le roman a été publié en 2021 par les Éditions Cambourakis, dans la Collection "Sorcières"

Le roman choral de Wendy Delorme proclame son statut de dystopie éco- féministe.

Certes les héros sont presque toutes des héroïnes dans ce beau récit polyphonique au style précis et imagé.
Mais » Viendra le temps du feu » est aussi une ode au rôle de l’écrivain, à la puissance du livre en même temps qu’il consacre l’amour lesbien dans toute son évidence et toute sa force.

Oeuvre originale à plusieurs titres, le roman est surtout un manifeste pour le respect des différences et une dénonciation des sociétés contemporaines étriquées, réactionnaires et donc totalitaires.
Et puisque les tentatives de vivre autrement sont violemment réprimées, il faudra éliminer, en particulier par le feu et sa charge symbolique, les entraves accumulées par les persécuteurs.

LE CONTEXTE

Dans une société à bout de souffle, la jeunesse refuse de jouer le jeu. Les suicides se  multiplient, les actes de violence aussi.
 » Près de trente pour cent des jeunes du territoire sont morts en douze semaines » (page 154).

Le Pouvoir réagit et fait voter le « Grand Pacte National ».
Un système dictatorial féroce se met en place. L’accès aux réseaux d’information est réduit, le sujet de la détérioration du climat est banni des média, le suivi psychiatrique des jeunes qui ont survécu devient obligatoire.
Mais surtout, l’urgence de procréer est instituée. La contraception est limitée aux groupe sociaux à risques, donc les plus pauvres, l’avortement est proscrit, les examens de fertilité sont généralisés, l’homosexualité est évidemment interdite.
Il est obligatoire de « contribuer » donc d’enfanter. Celles qui ne sont pas « contributrices » sont ostracisées et ne reçoivent pas d' »avoirs », ces sortes de « tickets de rationnement » qui ont remplacé les espèces et donnent accès à l’alimentation, au logement, aux loisirs…

Comme dans toute dictature, les frontières sont fermées, la parole publique est confisquée et contrôlée par une « Régie centrale des Discours et des Données », les livres anciens sont interdits et le passé est réécrit.
La population n’est pas certaine qu’un « autrefois » a existé, avec liberté d’expression, voyages et tourisme, culture, art et diversité.
Le cadre décrit est donc classique, c’est celui de Huxley, de Orwell, de Bradbury, de Ira Levin,…

Face à cet univers normé, certains résistent et tentent de bâtir une autre société. Et puisque la frontière s’adosse à un fleuve, il faudra franchir celui-ci.
C’est ce qu’ont fait les héroïnes de Wendy Delorme. Elles ont construit cet autre monde, creusé une montagne pour cela, exploité une carrière de marbre, élaboré surtout des rapports harmonieux et amoureux entre elles. Et même enfin, accueilli des migrants !

Longtemps, elles ont résisté.
Mais les attaques des « Autres » se sont multipliées et ont fini par détruire le « village des femmes » et tuer presque toutes les occupantes.

A l’ouverture du roman, le monde est univoque, bloqué.
Aucune alternative n’est envisageable, ni aucune différence, aucune révolte.
Toutefois, comme toujours, les braises ne sont pas totalement éteintes. On peut tenter de
« récrire l’histoire du point de vue des vaincus » « et peut être créer les conditions d’un possible futur » (page 256).

L’INTRIGUE 

Après l’effondrement du monde ancien et le suicide assumé d’une génération, un régime totalitaire est instauré. Il a détruit la société alternative élaborée par les « sœurs » et règne sans partage.
Chacun des personnages incarne les expériences évoquées et apporte un éclairage sur les évolutions subies.

Eve  a quitté le « village des sœurs » après avoir donné naissance à sa fille,  » L’enfant ».
Elle se cache dans le monde des « Autres » où elle peine à s’adapter malgré ses efforts pour se soumettre aux nouvelles règles. « L’enfant » surveille sa mère et suit  apparemment les consignes scolaires même si, comme sa mère, elle commence à rédiger son « carnet de bord ».

Grâce, membre de la communauté féminine de la « montagne creuse », à fui lors de l’attaque décisive des « Autres ». Réfugiée dans la forêt, elle a traversé le fleuve, a pris l’identité d’une voisine de chambre d’hôpital décédée et s’est installée dans une zone pauvre du territoire (la « banlieue »).
Elle remplit dorénavant les tâches ingrates que les « Autres » ne veulent pas assurer. Elle survie péniblement, dans la pauvreté, et souhaite voir venir la révolte.
Un jour, elle aperçoit Ève et la reconnaît.
Lorsqu’elle rejoint le groupe des réfractaires et s’associe à leur combat, elle l’a guidera avec sa fille vers l’autre rive, celle d’un futur meilleur.

Louise dissimule son homosexualité et vit en « paire » avec Raphaël, ami d’enfance, et lui-même homosexuel.
Ils donnent ainsi le change auprès d’autorités particulièrement intrusives.
Louise doit cependant subir des examens gynécologiques réguliers car elle a 25 ans et doit impérativement « contribuer ».
Professionnellement, elle est animatrice en supermarché le jour, strip-teaseuse la nuit.
Elle remarque Eve ainsi que Grâce. La jonction se fait avec Raphaël, afin d’entrer en lutte.

Raphaël veut fuir le pays et rédige plusieurs lettres à l’intention de sa mère pour l’informer de son projet.
Parallèlement, il fait partie d’un groupe d’activistes qui prépare l’insurrection.
Ces « révolutionnaires » collent des affiches annonçant les nécessaires changements à venir et participent aux actions violentes de soulèvement contre la dictature.

Les incendies se propagent, la Cathédrale est en feu, la ville sombre dans le chaos.
En trois jours, le régime honni cède de toutes parts.
Les protagonistes franchissent le fleuve, avec une ambition, reconstruire un futur acceptable.

CONCLUSION

A l’évidence, le compte rendu succinct qui précède n’illustre pas suffisamment  la richesse des portraits esquissés par l’autrice, la puissance des combats.
Le cadre dystopique est classique mais le contexte, l’intrigue, les figures sont originaux. L’écriture transcende le propos et offre à ce playdoyer pour un amour différent, pour l’absolue nécessité du livre, un écrin remarquable.
Les « sœurs » de Wendy Delorme revendiquent avec hauteur « l’utopie à construire ».
Le roman en témoigne avec succès.  

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