FOETUS PARTY | Pierre PELOT

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Les citations sont tirées de cette édition

Le lecteur de « Fœtus Party » est perdu dans le labyrinthe du récit comme semblent l’être les protagonistes du récit.

Il lui faudra attendre la fin du roman, dix pages avant le point final, pour comprendre, en même temps que les héros eux-mêmes, les ressorts ultimes de l’action et percevoir toute l’étendue de l’ambition de l’auteur.

Quoiqu’il en soit, le contexte pour sa part est stable dans sa noirceur et sa désespérance. Les premiers mots installent, magistralement, la tonalité très particulière de cette dystopie emblématique :

« Un jour il était né. Bel et bien pris au piège. Sans le savoir.

        Un jour il était né et s’était bravement mis à mourir. Et le monde s’était mis à mourir lui-aussi. La terre entière, inexorablement. » (p 5)

Tout est dit, et Pierre PELOT, auteur prolixe et reconnu dans les genres les plus divers, peut dérouler sa vision délétère d’un avenir déjà écrit.

La parution de 2014 dans les éditions BRAGELONNE a été retenue pour les citations.

UN CONTEXTE DE CAUCHEMAR

En 2676, la ville couvre les trois quarts de la surface des terres. La surpopulation règne, elle est le résultat de siècles d’un capitalisme triomphant qui a prôné la compétition économique, la croissance indéfinie, la consommation sans limites.

S’appuyant sur la science, les anciens gouvernants ont vaincu la maladie, presque la vieillesse :

« C’était protéger la vie à tout prix, anéantir l’équilibre de la sélection naturelle, et c’était beau… mais c’était donner naissance à des millions et des millions d’êtres humains, repousser plus loin pour chacun les limites  de la mort… dans un monde de plus en plus triste, et pauvre, et ruiné . Nous héritons de la bêtise et de l’égoïsme. » (p 57)

Dorénavant, le suicide est encouragé et les vieillards sont appelés à donner leur vie pour nourrir le reste de l’humanité et dégager de l’espace disponible (« les morts nourrissent les vivants et leur font de la place »).

Officiellement, la religion régnante, le Saint-Office Dirigeant, révère la vie, souhaite vaincre la mort. Mais, face à la poussée démographique, elle est contrainte, sans le dire, de réhabiliter la sélection naturelle et d’encourager le suicide.

Le clergé tout puissant (les Officiants) a mis en œuvre de multiples techniques pour arriver à ses fins : promouvoir des jeux où l’on perd la vie, organiser des tests pour limiter les naissances, communiquer pour favoriser la mort volontaire.

Dans ce monde, l’alimentation est fournie par l’élevage et la transformation d’insectes, seuls animaux survivants, le recyclage des déchets et des excréments, l’utilisation anthropophagique des cadavres.

Devant l’impasse dans laquelle se trouve l’humanité, les plus extrémistes des dirigeants n’envisagent qu’une solution : la guerre. En sabotant les dépôts de déchets radioactifs, les catastrophes se succéderont en chaîne, les gouvernants seront accusés et,

« La guerre qui ne manquera pas d’éclater doit pouvoir abaisser de quelques milliards le chiffre de la population mondiale. » (p 167)

Pierre PELOT dessine, dès 1977, une fin du monde que de nombreux auteurs plus récents ont illustrée et développée dans leurs ouvrages.

UNE INTRIGUE MULTIPLE

Pour dépeindre ce monde épuisé, l’auteur a recours à plusieurs intrigues imbriquées.

Un trafiquant de drogue, Trash, assiste à un jeu télévisé qui, en direct, conduit systématiquement à la mort l’un des deux joueurs en présence. Réfractaire et marginal, il fournit une substance illicite à un couple qui attend un enfant – la femme enceinte, Eva, et son mari Mark participent pour la troisième et ultime fois à une « fœtus party », qui doit permettre aux Officiants de déterminer si le futur nouveau-né est apte à survivre dans le monde tel qu’il est -.

Au milieu de ces péripéties, apparaît un nouvel héros, « le visiteur », Ross. Ce dernier, accompagné d’un Officiant, prend connaissance des réalités qui l’entourent. Apparemment amnésique, il est confronté aux multitudes humaines. Il visite l’un des derniers parcs existants et apprend ce que l’on doit savoir des terribles contradictions à l’œuvre dans cet environnement de fourmilière et de famine.

L’action bifurque alors, le « visiteur » est enlevé par des rebelles armés. Il est emmené dans une gigantesque réserve de détritus, au sein d’immenses conglomérats d’immondices infestés de rats et peuplés de cannibales affamés. On lui apprend qu’il s’appelle en fait Jent et qu’il est membre de ces troupes d’insoumis qui tentent, sous la direction d’une « Mère », personnage merveilleux et énigmatique, de survivre loin de la surface et de ses horreurs.

Ce passage donne l’occasion à l’auteur de décrire, en pages hallucinées, l’univers de la « jungle-poubelle »,

« …Collines, collines vraies, montagnes glissantes aux pentes escarpées, hérissées de centaines de milliers de pièges aux morsures vénéneuses, pentes molles couvertes de ces grimaces, comme des végétaux fous, des végétaux morts et pétrifiés dans l’agonie… Montagnes ou vallées, baignées de fumerolles jaillies de cette anfractuosité, sans que l’on sache qui ou quoi, la-dessous, brûle ; montagnes ou vallées, mer de merde qu’engrossent et alimentent les cent millions de fleuves de merde du ciel, prenant eux-mêmes leur source à la bouche et au ventre, et aux yeux, aux mains, aux culs, de quinze milliards de crevards tenaces, qu’on dit, qui se veulent, s’imaginent humains. » (p 122)

La vision de l’homme de Pierre PELOT est sans ambiguïté :

« Les cons. Les pauvres. Ils ne savent pas qu’ils grouillent comme une peste. » (p 123)

On pense être revenu dans ces dystopies où les rebelles s’opposent aux dominants pour recréer un monde où la vie serait à nouveau possible. Mais ce n’est pas le cas avec cet auteur qui ne cultive pas l’optimisme.

Il nous révèle enfin la clé de l’énigme.

Lors des « fœtus parties », une drogue est administrée aux embryons. Sous hypnose, ceux-ci vivent l’équivalent d’une vie entière dans les conditions exactes du monde réel. Seuls ceux qui résistent, lors de ce test, à cette confrontation à l’existant sont aptes à vivre et donc à accepter leur condition future. Seuls, ils sont autorisés à naître.

La substance fournie par Trash, le trafiquant du début du roman, permet à la mère de ne pas être endormie, de rester vigilante et d’ainsi favoriser les capacités de résistance du fœtus en l’aidant à surmonter le stress par la proposition d’une vie parallèle, ici par exemple, le refuge dans les réserves de détritus.

On comprend alors que le « visiteur » est en fin de compte le fœtus de la mère enceinte, Eva Lipton, cliente du trafiquant. L’aventure vécue par Ross (ou Jent) est donc virtuelle.

L’Officiant déchiffre les phases de l’expérience vécue subjectivement par l’embryon et considère qu’il a réagi positivement au monde inventé par sa mère. Mais même si vivre au cœur des détritus et y créer une contre-société est jugé intéressant, cela n ‘est pas suffisant pour constituer la solution recherchée par les dirigeants.

En conséquence, le fœtus est détruit et les parents, accusés de fraude, éliminés.

Quant à Trash, arrêté par le Saint-Office Dirigeant, il doit choisir entre mourir ou devenir un combattant de la guerre programmée. Il choisit cette seconde solution :

« Il faut que je cesse de penser (…) il faut que je m’arrête, que j’élimine tout ce qui pourrait gâter ma vocation de salaud. » (p 188)


Aucune lueur ne brille dans ce monde de poussières et de désespoir. La lutte est inutile, la révolte impossible, il ne reste qu’à attendre une mort rapide.

Pierre PELOT ne fait aucun cadeau. Dans cet univers épuisé et surpeuplé, soumis au pouvoir religieux absolu, aucune solution n’est envisageable, sinon de fomenter une nouvelle guerre, afin de réduire, pour un moment, une population affamée.

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