RÉSISTANCE 2050 | Amanda STHERS et Aurélie JEAN

Edition de référence, Éditions de l'Observatoire, 2023.

Dystopie écrite à quatre mains, celles d’une écrivaine chevronnée et d’une scientifique spécialiste des algorithmes, le roman est ambitieux.
Le thème est très actuel. La majorité des individus a en effet choisi de s’équiper d’une « puce cérébrale » qui apporte performances et santé, qui supprime la douleur et anesthésie les angoisses.
Face à ce bonheur imposé, certains résistent et défendent la spécificité et la complexité de la nature humaine.
Le débat adopte un tour classique, sécurité et sérénité contre vérité et passion. Depuis « le meilleur des mondes » (Aldous Huxley), la problématique nourrit nombre de récits. Toutefois la dimension « transhumaniste » du texte modernise nettement la thématique, même si l’issue choisie laisse le lecteur sur sa faim, comme si aucune solution n’était envisageable.

L’édition de référence est celle de la version originale publiée aux Éditions de l’Observatoire en 2023.

LE CONTEXTE

En 2050, l’implant cérébral a été majoritairement adopté.
En France , seuls le sud du pays, la Bretagne et quelques zones isolées ont renoncé à un dispositif paré de tous les avantages:
  – augmentation des capacités intellectuelles,
  – prévention des maladies dont Alzheimer
  – disparition de la douleur,
  – équilibre mental et émotionnel,
  – apprentissage et information sans efforts,
  – sentiment de bonheur.

De plus, la connexion permet d’être averti de tout ce qu’il faut connaître. La connaissance des langues et l’acquisition des savoirs sont immédiates.
Concrètement, l’école n’existe plus…

Bien sûr, les « équipés » (dotés de la puce) sont guidés dans leur consommation et leurs réactions. Ils deviennent d’ailleurs éco-responsables, évitent l’alimentation carné, trient les déchets, adoptent un mode vestimentaire minimaliste et économe. Ces citoyens modèles ne voyagent plus sinon de façon virtuelle. Cette pratique s’étend aussi aux relations sexuelles.

« C’est la puce elle-même qui alertait sur un besoin de repos, comme on prévient qu’un ordinateur est en surchauffe.(…) Il était possible de choisir une destination, en sentir les parfums, en écouter la langue et la comprendre ou pas selon l’émotion qu’on voulait faire naître en nous. On pouvait programmer une aventure d’un soir, sentir des mains sur sa peau, ressentir un orgasme et reprendre conscience chez soi rassasié, reposé, repu. La puce évitait la fatigue des déplacements, annulait la trace carbone et la propagation possible des virus. ». (p 93)

Plus généralement, les » équipés » échappent aux croyances religieuses, spirituelles, ésotériques. Les lieux de culte sont transformés en site de méditation.

Face à cette déshumanisation, à cette robotisation, certains (9 % de la population) refusent l’avènement d’un contrôle technologique des existences.
L’épicentre de la rébellion se situe à Marseille, sous la direction d’un triumvirat inspiré de la Rome antique: un activiste écologiste, une figure des « quartiers », une chorégraphe chargée des relations internationales.
Dans le monde, les pays musulmans résistent comme le Vatican et l’Italie ou encore l’Inde.
Cependant, la puce règne dans la plus grande partie du globe.

L’INTRIGUE

Les tensions entre les deux parties de la France, sont incarnées par deux femmes, Chloé, prix Nobel, qui a créé, avec son mari, également prix Nobel, la puce cérébrale et Oona, artiste et chorégraphe, à la tête des populations réfractaires du Sud.
Mais les deux héroïnes se connaissent et se sont aimées autrefois…
L’opposition entre les deux visions du monde est radicale même si Chloé doute un peu de ses choix et si Oona est parfois lasse de son combat.
Le mari de Chloé est proche du pouvoir et accepte la responsabilité du ministère de la Santé, mais il se révèle féru de sports de combat interdits, qu’il pratique dans des lieux secrets une fois sa puce désactivée.
Chloé, elle même, se rend parfois dans des lieux de rendez-vous lesbiens. Quant à Oona, elle a accepté les avancées technologiques puisqu’elle a eu recours à un utérus artificiel.
De même le jeune Pape, opposé à l’implantation de la puce, semble en fait être doté de ce dispositif comme le laisse subodorer sa maîtrise parfaite de multiples langues.
Les clivages sont donc moins évidents qu’il n’y paraît entre les deux camps.

Quoiqu’il en soit, certains peuples ne veulent pas de compromis. Les musulmans intégristes souhaitent ainsi entrer en guerre et détruire ceux qui proposent la manipulation des êtres et leur interdisent l’accès à la religion.
Oona doit rejoindre ce mouvement de rébellion même si l’alternative entre la puce généralisée et le fanatisme religieux et anti-féministe n’est pas aisée pour elle. N’y aurait-il pas de choix autre que les fous de Dieu ou les êtres robotisés ?

Les autrices tranchent la question en optant pour une solution qui s’approche de l’artifice romanesque: l’intervention des extraterrestres !
Le monde doit se protéger contre une menace venue de l’extérieur comme chez H. G. Wells et tous les auteurs qu’il a inspirés. La « guerre des mondes » se profile à l’horizon et les maîtres du globe se rencontrent pour préparer la riposte comme dans un classique film américain.
Mais rien n’y fait. La » troisième intelligence » approche rapidement et prend le pouvoir, rend inopérante la puce et vaines toutes les technologies.
Pour résister à une « autre chose que l’humanité », il ne reste que « des hommes hagards, sans sagesse ni maturité ». Il est indispensable d’unir toutes leurs forces au-delà de ce qui les oppose.

CONCLUSION

La dystopie décrite par « Résistance 2050 » s’avérait prometteuse.
La puce, prévue à terme par Elon Musk et la Silicon Valley, s’est effectivement installée et a profondément remodelé les modes de vie.
L’affrontement entre les deux types de civilisation semblait inévitable et la description de l’avenir ouvrait des perspectives propres à enrichir les imaginaires.
Et puis… , les autrices renoncent à leur propos, invoquant un « deus ex machina » bien commode et ne concluent pas leur roman.
La thématique pourtant majeure, actuelle et fondamentale, n’est pas traitée jusqu’au bout et on ne saura pas comment le monde peut dépasser le conflit entre le transhumanisme et l’obscurantisme.

Et le lecteur, d’abord fasciné, referme le roman quelque peu frustré.

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